27 décembre 2005
Constantine : la vieille ville au coeur de la tempête
Quand la vieille ville de Constantine ou Souika est évoquée,
il ne peut être évidemment imaginé autre chose
que sa disparition progressive sous la pression d'événements
naturels ponctuels en raison de l'érosion des matériaux
composant les structures d'habitation datant de plus de deux siècles.
Sa
préservation totale ou partielle ne pouvait obligatoirement,
par conséquent, que revêtir un aspect historique, d'une
part, et culturel, d'autre part. Si cette vision des choses a échappé,
passez-nous l'expression par trop galvaudée, à ses enfants,
ce n'a pas été le cas pour des instances internationales à l'image
de l'Unesco qui dépêchait, comme à titre prémonitoire,
Mme Minja Young, collaboratrice directe du directeur général
de ladite organisation internationale. En plus de Souika, l'émissaire
de l'Unesco fera le constat sur place d'autres sites susceptibles de
faire partie du patrimoine culturel de l'humanité, tels le palais
du Bey et la Grande Mosquée. Et même si elle était
accompagnée d'élus de la municipalité, l'avenir
allait démontrer qu'ils n'étaient là que pour
faire tapisserie ou pour les besoins de la photo. Et pour se justifier,
ils se lamenteront dans le giron de Mme Minja Young avec, comme argument
essentiel, l'absence de financement spécifique pour la sauvegarde
de la vieille ville.
En même temps, une équipe de spécialistes
italiens planchait sur les moyens techniques de réhabilitation
du bâti.
La délégation relevant de l'université Roma III
arrivera à Constantine vingt jours après l'émissaire
de l'Unesco pour y séjourner six jours, recueillir des données,
diagnostiquer l'immédiate réalité de la situation
et, enfin, faire part de ses propositions aux pouvoirs publics quant à l'éventuelle
feuille de route du projet tel que les spécialistes en percevaient
les possibles conceptions. Cette mission entrait dans le cadre d'un
programme financé par le gouvernement italien et le Master plan
devait fournir des variantes harmonieuses de la gestion des espaces
a posteriori, autant pour ceux sur lesquels resteraient préservées
les bâtisses, que ceux libérés.
Et comble de l'ironie,
quinze jours après allaient être
entamées, tous azimuts, les premières démolitions
décidées par les autorités locales au motif que
les habitations concernées présentaient un réel
risque pour ceux qui y habitaient, d'autant plus que ces derniers étaient
des squatters (plus de 100 familles). Encore une fois, tous les arguments
pouvant justifier un tel acharnement sur Souika étaient allègrement
avancés : indus occupants, personnes interlopes (prostituées,
dealers, homosexuels ). Alors à quoi servait la police pendant
toutes ces années alors que le siège de l'une de ses
Sûretés urbaines était situé à 100
mètres pour prendre en charge cette partie de la ville. Sans
extrapoler, l'argumentaire avancé par le chef de daïra,
chargé de piloter l'opération, ne tenait pas la route
comme en témoigneront des scènes désolantes et
dramatiques de familles vivant, en pleine période hivernale,
dans des abris de fortune (tentes, cartons, tôles) à proximité de
leurs anciennes habitations.
Enfin, l'intérêt du ministère de la Culture
Au cours de cette hystérique opération de démolition,
un site ancestral classé patrimoine national sera rasé,
scandalisant de nombreuses associations activant dans le cadre de la
sauvegarde et de la préservation du patrimoine architectural
de la médina et ce, d'autant plus, affirmeront leurs animateurs,
que cette action a été unilatéralement et arbitrairement
décidée par les représentants des pouvoirs publics
qui ne les ont à aucun moment consultés. Pis, les démolitions
relèveraient de l'abus d'autorité et de passe-droits,
bafouant toutes les règles protégeant la propriété privée,
ce qui était le cas pour nombre de familles propriétaires
de maisons de maître. Or, diront-ils encore, la médina
revêt, au même titre que la Casbah, un intérêt
particulier aux yeux du président de la République qui
avait obtenu de l'Etat italien une étude de réhabilitation
dans le cadre du Master plan, un projet qui excluait dans l'immédiat
toute démolition avant un diagnostic dûment confirmé.
Et
c'est sans doute l'une des raisons qui ont justifié le déplacement à la
limite de l'incognito de deux cadres supérieurs du ministère
de la Culture, en l'occurrence une inspectrice et le directeur général
de l'Agence nationale du patrimoine. Et au-delà du constat in
situ recherché et de l'intention de ramener la sérénité et
de calmer le jeu parmi tous les acteurs impliqués entre mouvement
associatif, élus et cadres de l'exécutif, acteurs directs
des dépassements de l'administration, les deux émissaires
ont, vaille que vaille, tenté de recoller les morceaux, mettant
en avant l'entière disponibilité du secteur à dégager
des pistes de nature à constituer les possibles solutions de
préservation du site ou du moins les parties les plus menacées.
Au
cours de la rencontre qu'ils auront avec les premiers édiles
de l'APC, l'APW et le wali, le premier responsable de la wilaya avancera
l'argument peu convaincant de la démolition dans l'intérêt
public. En plus clair, les habitations détruites mettraient
en péril la vie de leurs occupants (sic).
Le jeu trouble du mouvement associatif
En tout état de cause, le déplacement des deux cadres
aboutira à l'arrêt des démolitions, d'une part,
et à la désignation d'une commission (une autre) pilote
pour mener à terme un programme de travail consistant à proposer
des solutions visant à la réhabilitation des lieux.
Il
y a lieu de souligner l'extraordinaire engouement pour ne pas dire
les gesticulations suscitées par cet événement
au sein du mouvement associatif, sorti de son hibernation pour pousser
des cris d'orfraie mais sans que ses animateurs se soient à aucun
moment réellement intéressés aux violences qui étaient
faites depuis la nuit des temps à la vieille ville. Et dans
cette foire d'empoigne, le Club de réflexion et d'initiative,
comme d'habitude, a été le premier à tirer les
marrons du feu en organisant une rencontre impromptue du nec plus ultra
de la société, à savoir intellectuels, représentants
du mouvement associatif, journalistes, qu'il conviera à assister à la
projection d'un documentaire sur l'état de la vieille ville
avec la récurrente et imparable réaction a posteriori
qui veut que chacun se lamente sur ce qui était et qui ne l'est
plus, mais sans apporter en réalité de solutions, s'engager
sérieusement ou préconiser un exutoire. Et après
les petits fours, tout le monde s'égaie dans la nature pour
attendre le prochain événement «dramatique».
En fait, le documentaire était des plus racoleurs et attentait
plus à la dignité d'êtres meurtris dans leur chair,
exhibés pour les besoins de la caméra qu'il ne palliait
le réel besoin de dénoncer l'irréparable.
La part de l'administration
Dans tout l'embrouillamini autour des démolitions, le wali
aurait-il été abusé par ses collaborateurs ? D'aucuns
l'affirment sans ambages et dans la foulée, il fallait nécessairement
rétablir l'équilibre de ce wali dont l'exercice de funambule
aurait déjà porté ombrage à sa carrière
et réduit son temps de présence dans la ville des Ponts.
Sa mutation, quelques mois plus tard, dans la deuxième ville
d'Algérie ne serait en réalité qu'une promotion/sanction
de nature à brouiller les pistes et sauver la face de l'administration.
En tout état de cause, la campagne de soutien «spontanée» d'un
parti politique l'a beaucoup plus desservi que servi, confirmant ainsi
que la vieille ville continuait de servir de fonds de commerce à n'importe
quel moment de l'actualité. Et ce soutien était encore
plus gauche parce qu'il s'est manifesté, comme par hasard, au
moment même où la délégation du ministère
de la Culture faisait ses investigations à Constantine.
Le déplacement
de la délégation ministérielle
aboutira quelques semaines plus tard au classement de la vieille ville
au titre de patrimoine national. Entre-temps, les experts italiens
avaient pratiquement finalisé leur étude et s'apprêtaient à livrer
leurs premières conclusions au cours de l'été.
Cette visite sera reportée au mois de décembre et, effectivement,
face à un parterre d'universitaires locaux associés au
projet, les élus, les directeurs de l'exécutif et plus
particulièrement le ministre de l'Habitat et de la Construction,
le ministre délégué à la ville, un représentant
de celui de la culture, les membres de la délégation
italienne présenteront leurs conclusions et des types de variantes
d'aménagement de la vieille ville qui gardera son cachet historique
et culturel tout en étant adapté à ce qui fait
son environnement, assorti de toutes ses spécificités.
A. Lemili
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