26 février 2006 Algérie: La problématique de la sauvegarde de la Médina suscite des controverses Constantine : une modernisation soluble dans le patrimoine ? Il est des cités dont le pittoresque, même enseveli dans la valse des siècles qui passent, ne peut être altéré. Il est certainement des dommages qui sont comptés çà et là et dont l'intérêt serait de les rattraper avant que la négligence de l'homme n'atteigne d'autres proportions plus importantes. Le désintérêt total de la «chose» patrimoniale. La vieille cité antique Cirta a de quoi être sauvegardée. L'ancienne ville résiste malgré tout à tout ce qui nuit à sa mise, et à sa «remise en valeur». Puisque Constantine, dans ce qu'elle présente encore à travers l'histoire architecturale qui la singularise du reste du pays, se heurte à une incompréhension devant les changements qui s'imposent par la force de la restauration, donc de la sauvegarde. A Souiqa, par exemple, c'est le cas de plusieurs bâtisses auxquelles s'imposent l'introduction de la modernisation dans ce qui reste d'architecture traditionnelle, la sauvegarde par le changement sans transformer l'âme de la ville en pleine expansion. «Le Master plan» est l'étude «type» dont on entoure les travaux de réfection en remise en question des uns et des autres, les responsables de l'administration, les architectes, les associations de sauvegarde, les protecteurs du patrimoine et les inconditionnels amoureux de Constantine Tout un débat à suivre. Repères --- Mardi 6 décembre. Salle du conseil de l'APW de Constantine. Chacun sait que le moment est important et que la réunion qui se tient ce jour a tout pour faire événement et d'abord la qualité de ceux qui sont rassemblés autour des autorités de la wilaya et de la ville. Deux ministres -celui de l'Habitat, lui-même ancien wali de Constantine et familier de ses problèmes, celui de la Ville dont chacun sait les attaches personnelles avec Constantine-, un haut fonctionnaire représentant la ministre de la Culture et, en invité de marque, l'ambassadeur d'Italie dont le travail d'expertise, par des spécialistes de son pays, sur les épineux problèmes de réhabilitation et/ou de restauration, de la Médina est au centre de la rencontre. La question est d'évaluer ce qu'il est convenu désormais de nommer, dans les querelles constantinoises, le «Master Plan», de dire s'il est la réponse attendue à ce qu'il faut définir comme la quadrature du cercle constantinois. Comment concilier les exigences, souvent contraignantes, d'une relance d'un développement urbain à la fois en phase avec l'immensité de la demande sociale de logement, de transport, d'emploi, d'éducation et de loisirs et qui tienne compte à la fois d'un site particulièrement typé, difficile et de la préservation de la dimension patrimoniale de la vieille cité numide ? Un tournant dans l'histoire locale Dénouer le casse-tête était d'autant moins évident que le passif de destruction de trente-huit bâtisses de Souiqa, à l'automne 2004, était forcément présent dans tous les esprits. Il faut s'arrêter à cet épisode car il marque d'une certaine manière un tournant dans l'histoire locale et il aura notamment, pour la première fois, vu l'émotion de quelques-uns se transformer en inédit mouvement d'opinion que la presse aura efficacement relayé. Au-delà de protestations d'associations attachées à l'histoire et la culture de Constantine comme l'Association des amis du vieux Rocher ou celle des Amis du Musée Cirta, de l'Association des propriétaires ou encore du Cercle de réflexion et d'initiative qui, toutes sur un registre particulier, ont décliné l'émergence d'une société civile moins docile ou, en tout cas, qui a su trouver dans la défense du patrimoine de la Médina le socle d'une plus grande visibilité. A demi-mots, Ahmed Benyahia, artiste peintre et président de l'Association des amis du vieux Rocher, donne à entendre que la décision de mettre fin aux destructions de Souiqa viendrait du président de la République, lui-même «ému par ces atteintes au patrimoine de la Médina ». S'il fallait encore un signe de l'impact de cette émotion sur la conduite des affaires de la ville, c'est Abdelmalek Boudiaf, tout nouveau wali de Constantine, qui le donnera en réservant sa première sortie publique à Souiqa qu'il parcourra à pied, se mêlant aux gens et affirmant sa volonté de réhabiliter le patrimoine de Constantine. C'est aussi cette même volonté qu'il affichera lors de sa première rencontre avec les représentants de la presse, affirmant qu'il en ferait l'une des priorités de son action à la tête de la wilaya. C'est donc à interpréter une illisible, mais perceptible ligne rouge qu'étaient aussi invités, ce mardi de décembre, les participants au consulting sur le Master Plan. L'édition du lendemain du quotidien El Acil n'hésitait pas à titrer «Une vieille ville, otage des divergences» des responsables. Les débats, rapporte le journaliste du quotidien local, ont été «houleux» qui ont vu, en particulier, le représentant de la ministre de la Culture rappeler l'obligation de tenir compte du classement de Constantine en « z one protégée» et d'inscrire le Master Plan dans le plan de sauvegarde de la Médina. Se tenait-il alors dans la stricte traduction des fortes positions exprimées, en conseil du gouvernement, par Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture, plaidant la protection de Constantine. Fruit de vingt-quatre mois d'études, le Master Plan visait à «collecter des données, définir les caractéristiques architecturales de la Médina» et il en fut en particulier retenu qu'il n'écartait pas l'idée de destruction de vingt à trente-cinq bâtisses. En charge des questions de l'urbanisme au niveau de l'APC de Constantine et membre de la cellule de réhabilitation -véritable carrefour de la problématique de la restauration-,Tewfiq Benelbedjaoui revient avec amertume notamment sur l'épisode de Souiqa, «je n'ai pas envie de rappeler ici mon ascendance ni la place de ma famille dans l'histoire de ma ville, mais je refuse que l'on me conteste mon attachement à Constantine et son patrimoine. Il est vrai que nous nous sommes particulièrement mal pris dans cette affaire et que notre communication a été particulièrement défaillante. Sans doute des bâtisses n'auraient-elles pas dues être touchées, mais faut-il pour autant perdre de vue la responsabilité des pouvoirs publics dans la garantie de la sécurité des personnes ?» Les nécessaires expertises Existe-t-il alors une voie royale pour mettre Constantine à l'heure du siècle sans rien renier ni blesser sa mémoire ? Et cette voie doit-elle forcément porter les marques de l'urgence, se demande Ahmed Benyahia, président de l'Association des amis du vieux Rocher : «Que ce soit Souiqa ou d'autres sites, le sentiment est toujours le même d'un refus de se donner le temps et les moyens d'une action durable et crédible, associant architectes, historiens, plasticiens, experts qui garantissent la qualité de la restauration et on sait, partout ailleurs, que ce travail est toujours de longue haleine et qu'il demande du temps.» Il cite, entre autres exemples, le cas de la restauration de l'emblématique «Djamaa El Kébir», la plus vieille mosquée de la cité construite aux confins du XIIème siècle. Les réserves de Ahmed Benyahia sont par ailleurs confortées par Hadj Adlane Bousseboua, animateur de l'Association des riverains de «Djamaa El Kébir», toujours en attente d'agrément, qui déplore, quant à lui, l'absence de concertation des pouvoirs publics et estime que «les travaux entrepris demeurent en-dessous de nos ambitions au regard de la valeur archéologique et historique de cet édifice considéré, à juste titre, parmi les plus anciens de la vieille ville de Constantine». De la même façon, l'association souligne toute l'importance de l'appel non pas à des entrepreneurs ordinaires, mais à des experts susceptibles de préserver les caractéristiques architecturales de la Médina. L'idée est en tout cas dans l'air du temps à Constantine et elle ne pouvait pas ne pas être saisie au vol par les partenaires du jumelage Constantine-Grenoble et notamment par les architectes rassemblés, depuis un mois maintenant, au palais de la culture Malek Haddad à l'enseigne explicite de «Constantine, 2 000 ans d'architecture», exposition de photos et projection de films copilotées par l'institut d'architecture et d'urbanisme de l'université de Constantine et l'école d'architecture de Grenoble. Les gisements culturels et urbanistiques de la Médina Mahieddine Kheraouata, lui-même architecte et enseignant à l'université de Constantine, avait d'abord des raisons toutes personnelles de s'impliquer dans le débat sur le patrimoine et particulièrement le patrimoine immobilier. Associé à la cellule de réhabilitation et l'un des animateurs de l'exposition «Constantine, 2000 ans d'architecture», il est en même temps l'actif secrétaire général de l'Association des amis du vieux Rocher et, de son point de vue, l'un des risques d'une indifférence aux enjeux actuels «est de produire une population amnésique». Sans crispation, il défend l'idée que des travaux peuvent s'envisager qui tiennent compte, «d'une part, de la loi, d'autre part, des gisements culturels et urbanistiques que représente la Médina». Aujourd'hui, le résultat indéniable de débats et controverses parfois obliques est que, désormais, nul ne peut tout à fait ignorer, du moins à Constantine, la place de ces préoccupations dans les mutations projetées de la métropole constantinoise. Au niveau de la direction de wilaya de la culture, c'est Abdelkrim Benamar qui suit le dossier et participe, à ce titre, aux travaux de la cellule de réhabilitation : «Notre responsabilité en tant que ministère de la Culture est d'intervenir dans toute action visant à la restauration ou la sauvegarde du patrimoine classé, et de manière plus large, notre visa est requis pour toute opération touchant l e b âti ancien.» Si Souiqa est le coeur historique de la Médina et a été l'indéniable catalyseur de nouvelles préoccupations liées à l'idée de sauvegarde, il faut bien rappeler qu'au-delà des destructions qui avaient servi de déclic au mouvement protestataire, ce n'est pas d'aujourd'hui que les questions de recasement des occupants, de ses habitations classées administrativement comme «menaçant ruine» et de la destination du bâti se sont posées sinon que, liées à la problématique globale d'éradication des bidonvilles, des constructions illicites, elles n'avaient pas encore la charge patrimoniale qu'elles ont désormais acquises. Ainsi, il n'est pas possible d'isoler ces questions de la politique d'ensemble d'aménagement du territoire d'une agglomération dont les déclinaisons semblent échapper à la volonté des pouvoirs publics ou alors s'établir sur la puissances des pesanteurs politiques qui ont longtemps enserré Constantine. Le sentiment existe che z nombre de nos interlocuteurs que Constantin e a été d'une manière ou d'une autre victime d'une forme d'ostracisme qui la met quelque part à la traîne de ses anciennes périphéries. La difficile gestion de la croissance de la ville L'une des plus manifestes et des plus récentes illustrations de la difficile gestion des effets de croissance de la ville, notamment en matière de transport, tient, d'une part, aux récentes réalisations de trémies du côté de l'université Emir Abdlkader et de la cité Zouaghi -dans l'ensemble accueillies avec un certain soulagement-, d'autre part, au dégagement houleux de la station Kerkri ou aux difficiles négociations visant à la libération du souterrain du centre ville. D'évidence, sur ce registre, c'est encore le projet de réalisation d'un tramway traversant presque l'agglomération qui a suscité le plus de réactions. Son tracé, tel que communiqué par les autorités, prévoit, en effet la destruction, partielle des tribunes du stade Benabdelmalek, du siège du commandement de la gendarmerie et surtout de la célèbre prison du Coudiat. Dans une correspondance adressée à la ministre de la Culture, Ahmed Benyahia note qu'«alors que la blessure de Souiqa est encor e b éante, un autre pan de l'histoire du nationalisme, la prison du Coudiat, se trouve menacée de destruction malgré son classement au patrimoine culturel national». Des universitaires -historiens en particulier- s'émeuvent et une pétition est mise en circulation sur le Net et même des politiques comme Abderra z ak Bouhara, vice-président du Conseil de la nation, qui avait consacré des pages sensibles à la ville dans son ouvrage les Viviers de la libération, s'inquiètent qui considèrent que «dans la mémoire du nationalisme, la prison du Coudiat est à l'égal de celle de Serkadji à Alger». Lors d'un récent conseil du gouvernement, le projet de tramway de Constantine a été reconnu «d'utilité publique», selon un communiqué officiel ; sur place le wali multiplie les garanties à l'intention des riverains et on en est là sur ce nouveau sujet de discorde. Des opérations qui demandent du temps Si nul ne peut contester le fait que Constantine est condamnée à moderniser ses équipements collectifs, à se mettre en quelque sorte en accord avec son ambition de retrouver toute sa place de grande métropole, il est de notoriété publique qu'aucun espace n'est ouvert qui permette des confrontations, des échanges et lorsque ceux-ci ont lieu, c'est le plus souvent dans le cadre relativement étriqué des sessions des instances électives et avec un faible impact sur l'opinion. L'APW, du fait même de ses missions, se trouve au carrefour de l'évaluation et de la décision et a eu ordinairement à connaître un ensemble de questions. Sociologue, Kamel Bounah, son président, veut d'abord se fonder sur l'analyse sociale de la formation de l'agglomération. Il se veut alors au plus près de la vie quotidienne en matière de commodités, d'assainissement -conduites de ga z , AEP, électricité-, y compris de la vieille ville dont il relève que «sa restauration devra viser à une réelle relance de la vie collective, ouverte au tourisme, aux activités de proximité. Les opérations de restauration et de réhabilitation sont complexes, demandent du temps et de la patience». L'APW a l'expérience de quelques opérations telles que la restauration de l'Institut Benbadis ou de la mosquée d'El Kettania. Dans les semaines à venir, les autorités auront aussi à trancher, last but not least, dans le dossier du fameux projet de construction de l'ensemble hôtelier de l'ancien square Panis, défendu par un promoteur algérien en relation avec le groupe international Accor qui, lui aussi, soulève une vague de protestations. L'aspect le moins visible des controverses constantinoises tient aussi de l'inextricable fouillis juridique du foncier urbain. «Il y a bien sûr les droits des propriétaires, mais aussi les obligations imparties aux pouvoirs publics en la matière et rien n'interdit de rêver d'une Médina retrouvée, véritable musée à ciel ouvert», dit Mme Ali Khodja, vice-présidente de l'APW chargée des finances. Ce qui est sûr, c'est que la nécessaire jonction entre les valeurs patrimoniales de la vieille cité et les impératifs de modernisation du cadre de vie des Constantinois qui, pour paraître à tous égards souhaitable n'est, selon toutes apparences, pas pour demain. Entre ceux qui campent sur leurs certitudes et ceux qui restent enfermés dans les bulles de leur pouvoir administratif ou technique, l'urgence, mal comprise encore, serait de restaurer le dialogue et la concertation, seules voies d'une réhabilitation des valeurs intellectuelles et morales qui faisaient, il y a quelques décennies encore, la fierté de Constantine. Sur le terrain, c'est sans surprise du côté de Souiqa que se sont engagées, ces jours-ci, les premières opérations visant principalement la rue Mellah Slimane. Viabiliser la z one, consolider les fondements du bâti, restaurer les façades. Le challenge, auquel sont associés à hauteur de quarante pour cent des coûts les riverains, pour les entreprises retenues est forcément rude et chacun sait qu'il s'agit là d'un véritable test grandeur nature qui sera suivi avec vigilance autant par les pouvoirs publics que par les défenseurs du site. Meriem Merdaci |