21 mai 2008
Un patrimoine archéologique en péril
L'état des lieux du patrimoine archéologique à Constantine est alarmant.
Certains sont allés jusqu'à dire que la mémoire historique de la ville des Ponts est anéantie, impliquant la responsabilité des collectivités locales et celle de la direction de la culture. Ce constat a été le sujet de discussions lors d'une émission de la radio locale, Cirta FM, dont les responsables ont organisé un forum à l'occasion du mois du patrimoine.
On s'intéressa, notamment à la mise en concordance des richesses archéologiques, leur protection, entretien, sauvegarde et suivi. Il a été, en outre, admis que la ville séculaire recèle en son sein des trésors dont l'importance historique n'a pas toujours été bien comprise alors que sa richesse patrimoniale reflète une identité historique peu ou prou prise en compte. Cela fait des décennies que les spécialistes n'ont cessé de crier à la catastrophe dont est menacée Constantine, qu'ils n'hésitent pas à assimiler à un crime contre l'histoire.
Plusieurs vestiges ont été carrément effacés de la carte constantinoise, d'autres, à l'instar de la statue de Constantin, sous prétexte qu'elle représente le colonialisme, ont été soit enfouis dans les limbes des caves du musée soit ce qui est plus grave, saccagés. Cette situation perdure depuis 1994 alors que des « illuminés » persistent dans leur logique de destruction d'un patrimoine qui n'est pas seulement constantinois, mais universel.
Les villes qui accumulent trente siècles d'existence sont en effet rares dans le monde.
En 1994, lors de l'extension du tissu urbain de la localité de Bekeria, en contre-bas de Sidi M'cid sur la route du Hamma, les travaux ont touché les anciens jardins de la ville connus sous l'appellation de dolmens de Salluste.
A Kouhil Lakhdar, proche des Arcades romaines, ou à Djenan Zitoune, des constructions ont été réalisées sur un site archéologique, qui faisait partie d'un complexe agricole dont ne subsiste aujourd'hui que les Arcades romaines, elles mêmes menacées de disparition.
L'APC de l'époque, qui autorisa les constructions, a été pourtant avertie de l'existence d'un site archéologique sur les lieux. Cela ne l'a pas empêché de donner son aval au projet, devenant pour ainsi dire, complice de cette mise à mort de pans entiers de la mémoire de Cirta. Il est clair que la loi 98/04 a été brutalement violée. C'est, notamment le cas pour ce qui est de la restauration du tombeau de Massinissa à El Khroub, où les travaux ont été confiés à de simples ouvriers sans aucune connaissance du travail d'art et sans la présence d'archéologues et de spécialistes compétents et avertis de l'importance de ce vestige qui témoigne du passé de la capitale numide.
L'autre gâchis a été le travail réalisé pour la réhabilitation du palais d'Ahmed Bey. Un joyau architectural confié aux mains de maçons.
De fait, les travaux effectués tant à la Soumaâ du Khroub que sur le palais du Bey ne répondaient pas aux normes internationales en la matière. Il a été relevé que même les services de l'urbanisme, de la culture et des musées sont impliqués dans ce replâtrage des vestiges anciens de Constantine.
Par ailleurs, notons que pas moins d'une trentaine de maisons, pourtant classées patrimoine national en juin 2005, faisant partie de la Médina (vieille ville) ont été démolies. Un acte barbare qui s'assimile au crime archéologique. C'est d'autant plus condamnable que Constantine a perdu au long des années et des siècles des pans entiers des vestiges de son passé, dont ce qui subsiste aujourd'hui est peu représentatif de ce qu'a été Cirta, la capitale des Agullis numides.
Qu'en est-il dans ces conditions de la protection du patrimoine national? A ce propos, la chargée de la cellule de prévention du patrimoine Mme Nacéra Bouanane indique: « Actuellement, on se contente de prendre comme référence, un Atlas publié en 1911 par Stéphane Gsell, à défaut d'une carte des sites archéologiques existants à Constantine » et d'ajouter: « Sur le terrain, on éprouve beaucoup de difficultés à intervenir afin de stopper des catastrophes, vu les découvertes qui, comme celles à Kouhil Lakhdar, ont été faites... ».
Le forum a été l'occasion aussi de parler des efforts des services de la Gendarmerie nationale dans la lutte contre le pillage du patrimoine archéologique. Ainsi, rien que pour le premier trimestre de l'année en cours, les gendarmes ont récupéré 869 pièces dont 141 de monnaie, remontant à l'ère romaine. Les autres pièces représentent l'époque préhistorique.
Les services de la Gendarmerie nationale, ont fait de la protection du patrimoine « un devoir de mémoire ». Bien des trésors ont été récupérés dans le cadre de leurs fonctions. A Batna, par exemple, les mêmes services avaient, au cours d'une vaste opération, repris un véritable trésor archéologique, témoin de l'époque romaine. Sur information, les gendarmes ont déjoué une opération de transaction lorsque les pillards de sites historiques, s'apprêtaient à vendre 94 pièces de monnaie, d'un impôt de métal jaune, de l'or 14 carats, de 125 grammes, 5 urnes funéraires, des bijoux de femmes et à l'intérieur du domicile de l'un des trafiquants, il a été récupéré 119 pièces de monnaie, des pièces archéologiques, des figures de rois et princes. L'on raconte qu'un buste de statue a été cédé à un Européen pour 2,5 millions de dinars, alors que le trafiquant l'a acquis avec 20.000DA. Cette opération a eu lieu entre les mois de février et mars et dont les détails ont été publiés dans la Revue de la Gendarmerie n° 28 de mars 2008.
Ikram GHIOUA
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