TRISTE 11 NOVEMBRE 2015 POUR CEUX DE CE LIEU QUE CELEBRE
LE MONUMENT AUX MORTS DE CONSTANTINE.
Il
est le seul des trois principaux monuments aux morts de la guerre
1914-1918 encore présent dans cette contrée.
Celui d'Oran a été partiellement transféré et
reconstitué à Lyon.
Celui d'Alger a été dissimulé sous une structure architecturale
en béton.
Lui, à Constantine, imposant arc de triomphe perché au bord
d'une falaise face un vaste horizon, surmonté de cette Victoire ailée
qui devint, en 1943, l'emblème de la 3ème DIA, a traversé sans
coup férir les fluctuations de l'Histoire.
C'est ainsi que, malgré son état précaire, il demeure
l'auguste, paisible et glorieux symbole érigé à la Mémoire
de Ceux de ce lieu, de toutes cultures et conditions sociales, qui ont contribué,
voilà un siècle, jusqu'au sacrifice de leur vie, à sauver
la France, son territoire et sa souveraineté, d'une puissante et fatale
agression.
D'où lui vient sa singulière situation ?
Lorsqu'ils
furent contraints à l'exil, les habitants de cette grande
ville de l'est du pays eurent à cœur d'emporter leurs statues
et cloches familières.
Démonter et transporter leur monument aux morts leur était
impossible. Ils ne pensèrent pas à en déboulonner les
plaques nominatives, comme on le fit dans d'autres localités... 810
noms y sont inscrits :
« Chaque monument aux Morts a une épitaphe qui lui est propre
; »
« Chacun des noms qu'il commémore, qu'il glorifie, la compose, »
« Chacun des noms avec la date et le lieu de son dernier combat, »
« Chacun des noms avec l'unité combattante, ses frères
d'armes, »
« Chacun des noms avec son expérience directe de la guerre, »
« Chacun des noms avec sa farouche volonté d'en revenir, »
« Chacun des noms, visage et regard singuliers à jamais figés. »
Insensiblement, à son insu, ce monument aux morts est entré dans
une sorte de double vie.
D'une part, selon qu'il est considéré par les habitants d'hier,
ou par ceux d'aujourd'hui.
D'autre part, selon qu'ils s'intéressent uniquement à lui,
en tant qu'édifice, ou qu'ils sont également sensibles aux
810 Combattants qu'il commémore et qu'il glorifie :
« Chacun aspirait à une existence heureuse et l'a sacrifiée,»
« Chacun pour une cause et pour un avenir qui le dépassaient,»
« Chacun durement éprouvé, craignant pour les siens et
eux pour lui,»
« Chacun trouvant réconfort dans la solidarité des soldats, »
« Chacun d'eux tour à tour entré dans l'Histoire, en avons-nous
conscience ? »
« Chacun son jour de deuil et son jour de gloire étrangement mêlés, »
« Chacun méritait de survivre, les monuments aux Morts y veillent »
Les habitants
d'hier, contraints à un exil soudain, dont le syndrome
se manifeste encore, ont noué avec ce monument aux morts une relation
essentiellement nostalgique, hors du temps, comme s'il avait été relégué dans
des réserves muséales pour n'en plus sortir. Ils y sont toujours
attachés, l'évoquent et le montrent dans leurs sites telle
une relique. Il leur arrive même de s'inquiéter de ce qu'il
devient, de déplorer son manque d'entretien, sa dégradation.
Mais ils sont insensibles à une restauration qui garantirait sa pérennité :
ce n'est plus leur affaire !
Du coup, la préoccupation des combattants de la Première Guerre
mondiale, de Ceux de ce lieu, de toutes cultures et conditions sociales,
qui ont contribué jusqu’au sacrifice de leur vie à sauver
la France, son territoire et sa souveraineté, et pour la mémoire
et la glorification desquels ce monument aux morts a été édifié,
cette préoccupation est passée au second degré, leur
a échappé, voire a fini par les laisser indifférents.
Les habitants
d'aujourd'hui, eux, n'ont pas renié ce monument aux
morts édifié par les Français, tant il fait corps avec
le site pittoresque où il est érigé et constitue l'un
des emblèmes de la ville. Depuis des années, la presse algérienne
lui consacre de nombreux articles, louant son attrait touristique mais aussi
fustigeant l'abandon où l'a laissé l'administration locale,
et dénonçant des projets de mise en valeur restés sans
suite... Mais ce n'est pas tout.
En 2013, alors que disparaissait une partie des plaques nominatives portant
les noms de 360 Combattants, une motion, « halte au viol de Constantine »,
a dénoncé « un acte barbare » commis par des vandales « inconscients
de leur geste et a appelé à un sursaut de dignité. » Le
maire s'est alors engagé à « faire appel à des
experts et à des historiens pour qu'ils nous fournissent les noms
exacts de tous les soldats qui figuraient sur la plaque manquante... »
Sans suite à ce jour.
Voici
donc comment, en ce temps de commémoration du centenaire de
la première grande guerre mondiale, se pose la question de la préservation
du dernier et significatif monument aux morts de la guerre 1914-1918 encore
présent, et reconnu, au sud de la Méditerranée, à Constantine.
Un monument laissé sans entretien depuis un demi- siècle, et
désormais en péril puisque rien ne semble bouger, ni pouvoir
bouger, après le viol de sa mémoire en 2013.
Quelles que soient les dispositions administratives, voire diplomatiques,
applicables en l'espèce, assurément plus complexes que les
règles de gestion d'une réserve muséale, et quel que
soit le lieu où l’on exerce sa souveraineté, au sud ou
au nord, au nord ou au sud, qui ne voit l'insupportable conséquence
de ne rien faire pour sa préservation, pour sa rénovation ?
Ne rien faire, ne serait-ce pas le désaveu, sournois et cruel, de
Ceux de ce lieu, de toutes cultures et conditions sociales, qui ont contribué,
voilà un siècle, jusqu'au sacrifice de leur vie, à rétablir
la Paix dans un monde qu’embrasa une soif inhumaine de conquête
et de domination ?
Certes,
depuis, que de fluctuations de l'Histoire se sont manifestées !
En quoi ces glorieux Combattants de 1914-1918 en seraient-ils responsables
? Et quel préjudice devraient-ils en subir ?
Au front, aucun d'eux n'a démérité !
Bien au contraire, deux régiments de la division militaire de Constantine
figurent parmi les vingt-quatre unités les plus citées de la
guerre 1914-1918 : le 3ème Régiment de Marche de Zouaves et
le 7ème Régiment de marche de Tirailleurs.
Plus d'un sur deux des combattants inscrits sur ce monument aux morts n'atteignirent
pas leur vingt-cinquième année.
En 1915, ils furent 268 à périr, entre autres au cours des
batailles de Champagne, d’Ypres, d’Artois, des Dardanelles…
« Chaque monument aux morts a une épitaphe
qui lui est propre : »
« Chacun des noms qu'il commémore, qu'il glorifie, la compose, »...
A Constantine, cette épitaphe a été profanée
avec la disparition d’une plaque nominative portant les noms de 360
Combattants.
« Chacun méritait de survivre, les monuments aux Morts y veillent. »
A Constantine, le monument aux morts est laissé à l’abandon
depuis un demi-siècle.
Voilà pourquoi « Triste 11 novembre 2015 pour Ceux de ce
lieu que célèbre le monument aux morts de Constantine. »
Que l’on exerce sa souveraineté au sud ou au nord, au nord ou
au sud, jusques à quand y restera-t-on indifférent ?
Marcel
Grima
|