Le
pogrom de Constantine d'août 1934
Israël
Actu - 13 février 2014
Par Yaël Lévy-Provençal
Tout débute par des rumeurs le vendredi 3 août 1934 au
soir, près de la mosquée Sidi Lakhdar dans le centre de
Constantine, lorsqu'un Juif, Eliahu Khalifa, voisin de l'établissement
religieux rentrant sans doute ivre chez lui, aurait fait preuve d'un
comportement inconvenant envers des musulmans effectuant leurs ablutions.
Il aurait, dit-on, uriné contre le mur de la mosquée ;
d'autres prétendent qu'il aurait professé des propos injurieux
envers le Prophète.
La propagande antisémite relayée par des
militants venus de métropole ou issus de la population coloniale
incite, au début
du XXe siècle, les masses algériennes musulmanes à s'en
prendre aux juifs, alors que des rancours nationalistes et religieuses
ont resurgi après la promulgation du décret Crémieux
en 1870. Les musulmans sont amenés à regarder les communautés
juives de leur pays d'un oil jaloux et à leur envier leur situation économique,
résultat de leur statut de citoyen français.
Le soir de vendredi 3 août 1934, à Constantine,
Eliaou Khalifa, un zouave juif de 46 ans, pris de boisson aurait injurié un
petit groupe de Musulmans, rassemblés dans la cour d'une mosquée
de Constantine assez célèbre, Sidi Lakhdar. Selon ces derniers,
Eliahou Khalifa aurait également uriné sur le mur de la
mosquée. Entre les musulmans et les locataires de l'immeuble du
zouave commence alors une bataille et des coups de feu retentissent.
La police et les soldats interviennent et vers trois heures du matin
on compte 15 blessés dont 3 agents de police. Un musulman blessé par
balle décèdera un peu plus tard. 6 magasins juifs sont
saccagés
et plusieurs voitures abimées. Le lendemain, les notables des
deux communautés sont convoqués par le préfet.
La mort d'un musulman au cours de la répression
enflamme les passions et ni les prêches des grandes personnalités
juives et musulmanes de Constantine, ni les injonctions des autorités
ne permettent d'endiguer la fureur croissante des masses populaires.
Le 5 août, des bandes armées investissent le quartier du
Marché. Des coups de feu sont tirés et des rixes éclatent
en pleine rue. Des émeutiers, qui ont investi des maisons juives, égorgent
leurs occupants alors que les soldats et officiers présents sur
les lieux restent inactifs, suivant les consignes de non-interventions édictées
par leurs supérieurs.
Le lendemain, on voit des personnages marquants juifs
et musulmans s'activer à prêcher
la modération à leurs coreligionnaires - d'un côté,
M. Lellouche, président du Consistoire et conseiller général,
et le Grand Rabbin Halimi ; de l'autre côté, le Grand Mufti
de Constantine, le Cheikh Ben Badis, grand réformiste religieux,
et le Docteur Bendjelloul, conseiller général et un des
chefs du mouvement nationaliste du Constantinois.
L'afflux important aussi bien d'habitants de la région
environnante que de Constantine elle-même vers le quartier du Marché et
en particulier vers la Place des Galettes n'avait rien d'inhabituel en
soi. Néanmoins, comme pour distinguer le dimanche 5 août
des jours de marché normaux, de nombreux hommes jeunes sont armés,
le plus souvent de couteaux,de rasoirs ou de matraques ; certains portent
même des armes à feu, malgré l'interdiction légale
qui vise les indigènes musulmans.
Le dimanche matin, une réunion d'indigène se tient sous
les pins, hors de la ville, M. BenDjelloul, conseiller général
et l'un des politiciens les plus turbulents, doit y prendre la parole.
On l'attend. Soudain, la fausse rumeur qu'il vient d'être assassiné se
répand. Aussitôt c'est la ruée vers la ville.. les
rues sont gardées par d'importants détachements, la foule
indigène se jette dans les ruelles du quartier arabe et vient
déboucher dans la rue Nationale où se trouvent nombre de
magasins juifs.
Des rixes judéo-musulmanes qui éclatent
au quartier du Marché netardent pas à prendre de l'ampleur.
Au cours de la première phase des troubles du 5 août, deux
groupes de Juifs tirent de nombreux coups de feu par les fenêtres
de leurs appartements - actes d'auto-défense ne manquant pas ainsi
d'enflammer les passions des émeutiers.
Les magasins juifs sont incendiés et des familles
juives égorgées
dans leurs maisons. On guette les véhicules qui circulent sur
les artères principales de la ville, ainsi que par ses issues,
afin d'attraper des Juifs qui tentent d'échapper au carnage.
Suivant des consignes de non-intervention, soldats et
officiers (à de
rares exceptions près) ne font que jouer le rôle de spectateurs,
ne disposant d'ailleurs que d'armes dépourvues de cartouches.
Vers 16 heures, un bataillon de tirailleurs reçoit enfin des
cartouches après disposition du général de division
Kieffer et du député-maire Morinaud rentré précipitamment
en ville. Ordre est alors donné de faire usage des armes après
sommations traduites en arabe. Au bout de deux heures d'efforts, les
militaires mettent fin au pogrom et rétablissent le calme. Mais
la police et l'armée seront intervenues trop tardivement pour
arrêter le carnage qui se solde par 27 morts : 25 juifs, dont 14
hommes, 6 femmes et 5 enfants ; 2 arabes ; près de 50 blessés
et 200 boutiques et magasins juifs saccagés ou incendiés.
L'émeute ne se produit pas exclusivement à Constantine
mais aussi dans tous les villages ou petites villes aux alentours (pourtant
parfois à plus de cent kilomètres de là) où des
Juifs résident : AïnBaïda, Bizot, Hamma-Plaisance, Jemmapes,
Kroubs, Kenchala et même Bougie. La vieille maison mauresque des
Tenoudji-Cohen installés à AïnBaïda est saccagée
durant les émeutes, durant lesquelles une dizaine de blessés
sont à déplorer et plusieurs dizaines de magasins sont
pillés.
Il est essentiel d'évoquer les nombreux témoignages ou
actes de fraternité, de solidarité, voire de sauvetage,
provenant tant des populations européennes que musulmanes. Des
voisins ou des inconnus arabes ont sauvé de nombreux Juifs lors
des émeutes ; des voisins européens aussi. L'historien
Robert Attal doit sa propre survie à un fellah de Bizot, un certain
Serradj Abdallah. Un médecin arabe a également alerté tôt
le matin du 5 août Benjamin et Mardochée Cohen-Tannoudji
de l'imminence du danger. Après l'événement, des
organisations comme la L.I.C.A. (Ligue Internationale Contre l'Antisémitisme,
fondée à l'origine pour dénoncer les pogroms en
Russie et venir en aide aux populations victimes) militeront pour que
soient établies clairement les responsabilités du drame.
L'organisation humaniste proposera aussi que le décret Crémieux
soit appliqué également aux musulmans.
Sources :
- http://archituto.forums.fm/t3-topic
- http://lesjuifsdeconstantine.com
- http://www.morial.fr/pages/le-pogrom-de-constantine.html
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