II
LE MARÉCHAL CLAUZEL NOMME YUSUF BEY DE L'EST ET
ANNONCE L'EXPÉDITION DE CONSTANTINE
La déchéance du bey de Constantine avait été proclamée
par arrêté du général Clauzel, alors gouverneur, le 15 décembre 1830 ;
un frère du bey de Tunis avait même reçu sa succession, comme vassal de
la France. Mais El Hadj Ahmed répondit à cette bravade en se proclamant
pacha, représentant du Sultan.
Bône avait été définitivement occupée, grâce à l'audacieux coup de main
de Yusuf et du capitaine d'Armandy (mars 1832) ; Bougie subit bientôt
le même sort (29 septembre) et le pacha essaya en vain de déloger les
Français de ces deux postes. Mais tous les efforts se concentrèrent alors
dans la province d'Oran, où nos généraux avaient, par une série de maladresses,
fait naître un dangereux adversaire, El Hadj Abdelkader, et la région
de l'Est demeura livrée à elle-même.
Dans le mois d'août 1835, Clauzel revint à Alger, comme gouverneur général,
et après la brillante et stérile expédition de Maskara, reçut le bâton
de maréchal. Un de ses premiers soins fut de s'occuper de Constantine,
dont il avait résolu la conquête, encouragé par les lettres pressantes
qu'il recevait de Farhate ben Saïd et des cheikhs des tribus de l'Est.
Le général d'Uzer, qui commandait à Bône, depuis plusieurs années et avait
su étendre l'influence et la colonisation française, fut remplacé, en
mars 1836, par le commandant Yusuf, nommé bey de l'Est, sans traitement.
Aussitôt un grand nombre d'adversaires du pacha et surtout des intrigants
de toute sorte, accoururent à Bône pour saluer le nouveau bey et le pousser
à entamer les hostilités contre El Hadj Ahmed. Yusuf établit un grand
camp à Dréan (Derâane), s'y installa magnifiquement et y tint une sorte
de cour.
Pendant ce temps, le maréchal Clauzel quittait Alger (14 avril), annonçant
aux populations qu'il allait demander et obtenir du Parlement les forces
nécessaires pour entreprendre l'expédition de Constantine, l'automne suivant.
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III
OPÉRATIONS PRÉLIMINAIRES PRÉPARATIFS DE PART ET
D'AUTRE. LE BEY YUSUF
En dépit de sa confiance aveugle, El Hadj Ahmed fut forcé
de reconnaître que l'attaque des Français était imminente ; mais les manifestations
de Yusuf le touchèrent plus encore que les déclarations du Gouverneur.
Il résolut aussitôt de châtier ce renégat, qui prenait le titre de bey,
et osait sortir des murailles de Bône. Ayant réuni un effectif nombreux
de cavalerie, il se mit à sa tête, s'avança jusqu'à Ras-el-Akba, près
d'Announa ; puis vint s'établir à El Hammam, aux environs de Guelma. De
ce poste il lança sur le camp de Dréan, un corps de cavaliers choisis
; mais Yusuf faisait bonne garde. Lorsque ses adversaires furent à portée,
il sortit de ses lignes, se jeta impétueusement sur eux, les mit en déroute
et leur tua 20 hommes. Le pacha rentra alors à Constantine, en laissant
un poste d'observation aux environs de Guelma.
Profitant habilement de l'impression produite par cet échec, Yusuf quitta
son camp, dans la nuit du 23 au 24 juin, avec une colonne légère, sous
le commandement du colonel Duverger et .fit une reconnaissance jusqu'aux
ruines de Calama, où nous avons réédifié la ville de Guelma. Il reçut
en chemin, l'adhésion des populations indigènes et reconnut avec soin
les gîtes d'étapes et la route que la colonne devait suivre.
Cependant, le maréchal Clauzel était rentré à Alger, sans avoir obtenu
les renforts qu'il demandait, ni même l'autorisation formelle d'entreprendre
l'expédition ; on ne l'interdisait pas, mais il fallait attendre. Les
rapports trop optimistes de Yusuf, les lettres des adversaires du pacha
ne cessaient d'arriver et tous concordaient à présenter la situation d'El
Hadj Ahmed comme des plus critiques : son prestige était tombé ; il n'avait
plus personne autour de lui ; les citadins ouvriraient les portes de Constantine,
aussitôt que l'armée paraîtrait ; enfin, des contingents innombrables
de cavaliers protégeraient sa marche.
Cela était trop encourageant ; le maréchal se décida à tout préparer pour
l'expédition, espérant encore qu'on lui enverrait des secours de France,
mais résolu au besoin à tenter l'aventure avec ses seules ressources.
Il employa donc le reste de l'été à envoyer, par mer, à Bône, le matériel
et les troupes dont il pouvait disposer. En même temps, il insistait auprès
de Yusuf pour qu'il obtînt les renseignements les plus précis sur Constantine,
l'esprit de sa population et les ressources dont le pacha pouvait disposer.
Le commandant-bey recevait chaque jour de la bouche des indigènes échappés
de la ville, des détails plus ou moins contradictoires ; il en obtint
d'une source plus sure. Depuis longtemps, vivait à Constantine un génois
nommé Paolo di Palma ; les circonstances d'une carrière aventureuse en
avaient fait un ami de jeunesse d'El Hadj Ahmed et celui-ci, devenu puissant
pacha, le retenait auprès de lui, en lui accordant ses faveurs.
Mais Paolo, comme les indigènes l'appelaient, était fixé sur le compte
de son hôte et ne cherchait qu'à se soustraire à sa dangereuse amitié.
Il avait déjà entretenu une correspondance secrète avec Raimbert, le dernier
directeur du "Bastion de France" à La Calle, et tous deux échangeaient
des lettres que les messagers emportaient cousues entre les semelles de
leurs chaussures. Yusuf reçut de lui de précieux renseignements qu'il
présenta de façon à justifier ses rapports.
Dans le mois de septembre, eut lieu la chute du ministère Thiers, donc
le président était seul favorable à l'expédition de Constantine. Le nouveau
conseil refusait formellement d'envoyer aucun renfort et, comme le maréchal
avait menacé de donner sa démission si sa demande était repoussée, le
général Damrémont, arriva à Alger pour le remplacer, en même temps que
cette nouvelle. Mais Clauzel refusa de lui céder son poste et, le 27 septembre,
le ministre de la guerre lui écrivit qu'il le laissait libre d'entreprendre,
avec ses seules ressources, une expédition dont il garantissait le succès.
Enfin, comme preuve de sympathie, le roi annonça qu'il envoyait son fils,
le duc de Nemours, pour le représenter dans cette campagne.
S'attendant à être attaqué, El Hadj Ahmed avait pris quelques dispositions
pour la défense de la ville et appelé à lui tous ses contingents; mais
le mois de septembre s'écoula sans que les courriers de l'Est lui signalassent
le moindre mouvement des chrétiens; des détachements se massaient au camp
de Dréan ; c'était tout. Pour calmer son impatience, il réunit, à la fin
de septembre une colonne légère, et en ayant pris le commandement, la
conduisit avec diligence vers l'Est ; parvenu à Dréan, il attaqua audacieusement
le camp, mais fut repoussé sur toute la ligne. Pour se venger, il rallia
ses cavaliers et les entraîna jusque sous les murs de Bône, semant partout
la dévastation et la terreur, puis revint à ses cantonnements sur les
bords du Remel.
Sur ces entrefaites, le général Trezel était venu prendre le commandement
de Bône, où les troupes et le matériel ne cessaient d'être transportés;
il fut assailli de plaintes contre Yusuf. Le bey de l'Est avait mis trop
fidèlement en pratique les procédés des Turcs, et, trompé par des intrigants,
s'était laissé entraîner à des actes blâmables qui lui avaient aliéné
l'esprit des populations. "Si nous devons être traités par votre
bey aussi durement que par celui des Turcs, répétait-on, il est
inutile de changer." Le général en rendit compte à son chef et
l'avertit en outre que Yusuf ne réunirait jamais les 1500 mulets qu'il
avait reçu l'ordre de réquisitionner.
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