L'Indépendance
de l'Algérie :
Des collégiens
scrutateurs, puis danseurs de Twist !
par Abdelkrim Badjadja
1er Juillet 1962, le scrutin
d'autodétermination :
Scrutin régulier ? Pas vraiment, et j'en suis la preuve
vivante. Je m'explique. Le premier juillet 1962, je n'avais que 17
ans, ce qui signifie que je n'étais pas en âge de voter,
il aurait fallu être âgé de 18 ans. Pourtant, si
je n'avais pas été admis comme électeur, j'avais été retenu
comme scrutateur en dépit de mon jeune âge. J'avais été sollicité,
comme beaucoup de collégiens de mon âge, par l'UGEMA*
pour dépouiller les votes par correspondance des compatriotes
résidants en France. L'opération a eu lieu au niveau
d'une salle du Conseil général de la Préfecture
de Constantine. Il est vrai que depuis les élections truquées à l'assemblée
algérienne organisées en 1948 par le gouverneur général
Naegelen, les Algériens ne connaissent les « Elections » qu'à travers
le couple maudit de « Trafic électoral ».
Cela dure à ce jour, et les Algériens attendent toujours
le jour béni où il y aura divorce définitif du
couple : « Trafic » à bannir, et « Elections » à instituer
vraiment, n'est-ce pas ? * Union générale des étudiants
musulmans algériens.
5 juillet 1962 : Fêtes de l'Indépendance :
Laissons
les photos et les souvenirs parler de ces journées
mémorables dans la vie des peuples. « Des chants
et des danses partout, de nombreux drapeaux ont été accrochés
sur tous les édifices, et toutes les maisons...Qu'il est beau
notre drapeau national: vert et blanc frappé d'un croissant
et d'une étoile de couleur rouge ! »
Photos inédites des fêtes de l'Indépendance
(collection
personnelle
Abdelkrim Badjadja)
« Et en avant la musique, il y en a pour tous les
goûts, zendali malouf comme il se doit à Constantine, mais
aussi chaâbi algérois, et même...rock avec Bill Halley
et Elvis Presley, twist avec Johnny Hallyday et Richard Antony ! Je fais
partie des danseurs de twist... »
Je suis debout à l’extrême droite (pardon !) avec
entre les mains Johnny Halliday
« - Et toi le danseur de twist, viens avec moi !
Qu'est-ce qu'il
me veut celui-là, qui joue au "Nidham" (Service
d'ordre) ? Je le suis, les copains sont derrière, prêts à parer à toute éventualité,
c'est la fête de l'Indépendance, on a bien le droit de danser
non ?
- Mademoiselle, vous-là qui dansez le twist, venez par ici
!
Les gens se demandent ce qui se passe ?
- Bon, arrêtez-moi toutes
ces musiques...Faites un grand cercle...La sono, mettez-nous un twist
endiablé...Allez jeune homme, et vous
mademoiselle, vous allez danser ensemble...Vous êtes les meilleurs
sur la place, montrez-nous ce que vous savez faire...
Ah, concours de
twist, je veux bien, avec une demoiselle pour la première
fois, réquisitionnés par le FLN en plus ! Et en avant "twist
again yé yé"...Toute la foule est emballée
et se déhanche sur place...La danse terminée, je commente
l'évènement avec les copains, lorsqu'un autre "Nidham" nous
interpelle :
« - Vous êtes des étudiants ?
- Non, des lycéens...
(Nous venons tout juste de décrocher
le BEPC)
- Kif kif, voilà vous allez vous rassembler à "Djenane
Zaoualia" ("Le jardin des pauvres", cad. les musulmans)...
-
Faites passer le mot d'ordre à tous ceux que vous connaissez,
nous avons besoin de tous les étudiants et les lycéens...Je
vous retrouve tout à l'heure...
Nous sommes plusieurs dizaines
de lycéens et étudiants à attendre
au niveau du square...Le "Nidham" arrive...
- Voilà jeunes
hommes, jeunes filles, vous allez vous mettre en rang pour une nouvelle
manifestation...Vous prendrez la direction des quartiers européens,
en commençant par Saint Jean,
et la rue Pinget...
Quoi ? Pourquoi passer par les quartiers européens
en manifestant ? Nous sommes indépendants maintenant, le temps
des manifestations anticoloniales est bien terminé, alors à quoi ça
rime ?
- Vous allez scander les mots d'ordres suivants, et rien d'autre,
compris ! Allez-y...
Le cortège s'ébranle en silence d'abord, nous traversons
la première partie du boulevard Saint Jean, sous le regard interrogatif
d'une foule de musulmans qui se demande où se dirige ce cortège
silencieux... Arrivés à la hauteur de la rue Pinget, nous
quittons le boulevard, pour nous engouffrer dans la rue, où n'habitent
que des familles européennes qui n'avaient pas encore quitté l'Algérie...
-
Etudiants avec nous...Etudiants avec nous...Etudiants avec nous...
Le
message est reçu cinq sur cinq par les familles européennes...Tout
le monde se précipite aux balcons. Nous invitons les lycéens
et les étudiants français à se joindre à nous
pour partager la fête...Le FLN visait en quelque sorte à rassurer
ces familles...qui nous applaudissent au passage. Aucun étudiant
français ne se joint à nous, mais le message a été transmis...et
bien accueilli...Ce qui encouragera certains à finir par sortir,
ne serait-ce que par curiosité, aucune menace ne planant sur eux… »
Le lendemain, 6 juillet 1962...
« Cette fois-ci, je fais partie
du "Nidham" (Service
d'ordre) placé à l'entrée du cinéma Cirta,
en même temps que Rachid, celui-là même qui s'était
fait botté les fesses par un motard ! Aujourd'hui Rachid a l'avantage,
il arbore une belle tenue scoute : short noir, chemise bleue, foulard
et écusson, chapeau de brousse...Tiens ! Qui approche en compagnie
de son épouse ? Notre professeur de sciences naturelles, Mr Muscat
! Tout à fait à l'aise, il nous aborde, visiblement heureux
de retrouver ses élèves...Monsieur et Madame Muscat sont
impressionnés par la belle tenue de Rachid, il n'y en a que pour
lui. Je suis quelque peu jaloux...Nous les invitons à rentrer
pour assister à l'un des nombreux spectacles qui sont organisés
pour célébrer l'Indépendance. Nous nous assurons
qu'ils seront bien installés, ils ne risquent rien, sinon de devoir
se mettre debout au moment où retentira l'hymne national, "Kassaman",
qui marque le début et la fin de chaque spectacle.... »
Le surlendemain, 7 juillet 1962...
« Je rentre chez moi, Rahbat
Souf...Encore le couple Muscat ! Décidément, Ils ne veulent
rien rater...Cette fois-ci, ils sont en plein quartier musulman, devant
la vitrine d'un bijoutier... »
Abdelkrim Badjadja
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