IX 
      La cour du g�nie. - Le bain. - 
        Une voli�re. - Triste d�couverte. - Le tr�sor du bey. - Ce que devinrent 
        les femmes du harem. 
         
      On p�n�tre dans le pavillon dit de la 
        direction du g�nie par la petite porte de communication qui se trouve 
        entre le kiosque et le r�duit du cafetier du bey. 
         La 
        cour du g�nie est �galement entour�e d'un p�ristyle de cinq arcades ogivales 
        sur chaque c�t�. On reconna�t au premier coup d'œil que cette partie 
        du b�timent �tait autrefois une maison isol�e annex�e au palais par la 
        suppression de l'un de ses murs mitoyens, remplac� ensuite par une colonnade. 
        La cour de cette maison fut transform�e en un vaste bassin o� les femmes 
        du harem pouvaient prendre des bains froids. L'eau jaillissait de ce r�servoir, 
        s'�levait � une grande hauteur et retombait en cascades dans de vastes 
        coupes superpos�es et d'in�gales dimensions, sur le bord desquelles un 
        artiste fort habile avait sculpt� d'�l�gantes rosaces et de gracieux enroulements. 
        Dans les eaux du r�servoir vivaient en grand nombre de petits poissons 
        rouges, dont les femmes prenaient soin. 
        Tout cela a �t� transform� depuis l'occupation fran�aise. On a combl� 
        le bassin avec de la terre v�g�tale, dans laquelle on a plant� quelques 
        acacias. De l'ancien jet d'eau, il ne reste que la conque inf�rieure. 
        Sur l'un des c�t�s de la cour, un escalier descend dans de vastes chambres 
        vo�t�es qui s'�tendent sous le palais, le long de la rue Caraman. L� se 
        trouvait une �tuve ou bain maure, exclusivement affect� � l'usage du bey 
        et de son personnel f�minin. 
        Chaque jour, un certain nombre de mulets, charg�s de grandes outres en 
        peau de bœuf, apportaient de la rivi�re qui coule au pied de la ville 
        l'eau n�cessaire au palais. Cette eau, vers�e dans une sorte de poterne, 
        arrivait de l'ext�rieur � l’int�rieur du palais par des conduits 
        en poterie. 
        Au-dessus du bain maure �taient les chambres de repos des baigneuses. 
        L'une de ces chambres contenait une immense voli�re, dans laquelle on 
        entretenait des rossignols, des chardonnerets, des canaris et autres oiseaux 
        chanteurs. 
        Le premier �tage de la cour du g�nie, autour duquel r�gne �galement une 
        galerie � arcades, contient une s�rie d'appartements orn�s avec une certaine 
        �l�gance. C'�tait autrefois le logement particulier de Fathma, non pas 
        la fille du bey, mais celle du cheik des Hanencha. 
        La partie de logement o� se trouvent le salon et le cabinet de travail 
        du directeur des fortifications est couverte de peintures � fresque, au 
        milieu desquelles on lit encore quelques restes d'inscriptions arabes, 
        dont voici la traduction : 
        "O toi qui entres dans cette habitation ! que Dieu te garde." 
        - "Louange � Dieu; qu'il r�pande ses faveur: sur celui qui a �difi� 
        cette habitation." - "La patience est la clef du contentement." 
        - "Soyez le bienvenu !" 
      Il y a quelques ann�es, un domestique, 
        en fouillant dans le fond d'un b�cher, en retira les restes d'un cr�ne 
        humain. On fit aussit�t une perquisition plus minutieuse, qui amena la 
        d�couverte, au milieu de d�bris de bois et de charbon, de plusieurs autres 
        cr�nes. A qui avaient appartenu ces restes ? Quelques indig�nes bien inform�s 
        nous rappel�rent que, lors de la retraite de notre arm�e en 1836, El 
        hadj Ahmed avait mis � prix la t�te des Fran�ais, et qu'il r�compensa 
        tous ceux qui lui rapport�rent ces preuves barbares de notre insucc�s. 
        En quittant la cour du g�nie, on entre dans celle o� se trouvent actuellement 
        les bureaux de l'�tat-major de la division et ceux de la direction provinciale 
        des affaires arabes. Cette cour est enti�rement pav�e en marbre et orn�e 
        de fort jolies colonnes. Le ciel ouvert du milieu �tait autrefois garni 
        d'un solide treillis en fer que nous avons supprim�, n'ayant pas les m�mes 
        raisons que le bey pour nous tenir en cage. 
        On a longtemps pr�tendu que de ce c�t� du palais �taient enfouis les tr�sors 
        accumul�s par El hadj Ahmed bey. 
        Quelques .individus dignes de foi assurent qu'en l836, peu de temps avant 
        la premi�re exp�dition contre Constantine, le bey fit �vacuer par ses 
        femmes les chambres qui se trouvent autour de la cour de l'�tat-major; 
        en m�me temps, il y amena un ma�on et son manœuvre, et les fit travailler 
        pendant plusieurs jours, sans que personne communiqu�t avec eux et p�t 
        voir leur besogne. Enfin, un soir, il y eut grand �moi dans le logement 
        o� se tenaient les mameluks et les esclaves n�gres. Le bey �tait venu 
        lui-m�me leur ordonner de fouiller autour du palais pour chercher le manœuvre 
        du ma�on, qui, disait-il, venait de prendre la fuite. Malgr� toutes les 
        perquisitions possibles, tant dans les d�pendances du palais que dans 
        le reste de la ville, cet ouvrier ne p�t �tre d�couvert. Quant au ma�on 
        lui-m�me, les esclaves du bey le retrouv�rent dans la cour o� il avait 
        d� travailler, mais il �tait pourfendu par un �pouvantable coup de sabre 
        et noy� dans son sang. Depuis cette �poque, le bruit se r�pandit en ville 
        que le bey l'avait tu� pour faire dispara�tre avec lui le secret du lieu 
        o� �taient mur�s ses tr�sors. 
        Quand El hadj Ahmed bey eut fait sa soumission, en 1848, on l'amena � 
        Constantine, et il habita pendant quelques jours le palais o� avait �t� 
        jadis le si�ge de sa puissance. On se souvint alors des bruits qui avaient 
        circul�, et l'on dit � l'ex bey qu'il �tait libre de faire enlever ce 
        qui lui appartenait, si toutefois il �tait vrai qu'il e�t cach� de l'argent 
        dans le palais. El hadj Ahmed sourit, dit-on, en entendant cette offre 
        g�n�reuse. 
        "Je n'ai rien cach� ici, r�pondit-il. Pl�t � Dieu que j'eusse pris 
        cette pr�caution, car mes faux amis ne m'auraient pas d�valis�, comme 
        ils l'ont fait, de tout ce que j'avais emport� dans ma fuite." 
        Cette r�ponse parait concluante ; cependant je ne veux pas passer sous 
        silence une circonstance curieuse, qui se rapporte encore � ce sujet et 
        remonte � moins d'une vingtaine d'ann�es. 
        Un Maltais �crivit un jour de Tunis qu'un indig�ne, jadis employ� comme 
        manœuvre dans l'ancien palais du bey, lui avait r�v�l� l'existence 
        du tr�sor cach� par l'ex-bey, et qu'il demandait l'autorisation d'entreprendre 
        des fouilles. Ce manœuvre �tait probablement celui qui �tait parvenu 
        � s'�chapper jadis. Aucune suite toutefois ne fut donn�e � cette affaire, 
        on s'en est toujours rapport� � l'affirmation du bey. 
        Dans une chambre du beylik, on trouva de grands flacons remplis de sulfate 
        de quinine, herm�tiquement ferm�s, et dont le bey faisait probablement 
        fort peu de cas. On d�couvrit aussi des caisses qui avaient appartenu 
        au payeur de l'arm�e, des d�bris de voitures que nous avions abandonn�es, 
        et nous f�mes fort surpris de retrouver les roues de ces voitures ajust�es 
        � des aff�ts de canon plac�s en batterie sur les remparts de la ville. 
        Ces trouvailles �veill�rent en nous de p�nibles souvenirs. 
         Une 
        chambre du palais �tait remplie de toiles de coton imprim�es, � l'usage 
        des femmes du harem. Parmi ces �toffes, on d�couvrit un morceau de drap 
        blanc, o� �tait trac� en gros caract�res le nom de M. Cunin Gridaine, 
        fabricant � Sedan. Je proposai au g�n�ral Val�e d'utiliser une partie 
        de ces percales, en les faisant confectionner en chemises pour nos malades, 
        par les esclaves que le bey nous avait laiss�es. Ma proposition fut approuv�e 
        et mise imm�diatement � ex�cution. Mais les femmes d'Ahmed, habitu�es 
        � une vie de mollesse et de sommeil, savaient � peine coudre, et n'avaient 
        ni d�s ni aiguilles. 
        Je me fournis d'aiguilles et de d�s aupr�s des soldats qui gardaient le 
        palais; je donnai deux cantini�res pour chefs ouvri�res aux esclaves, 
        et je parvins bient�t � envoyer plusieurs centaines de chemises � nos 
        bless�s, qui pour la plupart n'en avaient pas. Dans les premiers jours 
        les femmes d'Ahmed s'ex�cutaient de bonne gr�ce ; mais ces d�s avaient 
        servi � des carabiniers : ces ouvri�res improvis�es, pour pouvoir coudre, 
        furent oblig�es d'envelopper de linge leurs petits doigts. Ces occupations 
        parurent d'abord les distraire ; elles se plaisaient surtout � faire remarquer 
        leurs mains potel�es et mignonnes, dont le travail n'avait pas alt�r� 
        la forme et la blancheur. Bient�t pourtant la couture les ennuya, et elles 
        se couch�rent, en all�guant pour pr�texte qu'elles avaient mal � la t�te, 
        qu'elles �taient malades, et quand je leur r�pondais que j'�tais m�decin, 
        elles n'en continuaient pas moins � jouer la com�die et � me pr�senter 
        le bras pour prouver qu'elles avaient la fi�vre. 
        "Toubib merida, m�decin, me disaient-elles d'un ton lamentable, 
        je suis malade. " 
        Cette disposition maladive persista jusqu'� la vue du sabre dont les cantini�res 
        crurent devoir s'armer pour les effrayer. 
        A�cha nous envoya plusieurs fois du caf� pr�par� � la mani�re des indig�nes. 
        Des ordres s�v�res furent donn�s pour faire respecter les femmes du harem. 
        La plupart se trouvaient naturellement d�fendues par une laideur repoussante; 
        les n�gresses surtout �taient hideuses. L'une d'elles e�t �t� digne par 
        sa carrure monstrueuse de figurer dans un cabinet d'histoire naturelle: 
        ses bras �taient de vrais poteaux et tout son corps �tait taill� bien 
        plut�t sur le patron de l'hippopotame que sur celui de la race humaine. 
        "Tandis qu'on prenait dans le palais une foule de pr�cautions pour 
        emp�cher qu'une communication p�t s'�tablir du dehors avec les femmes 
        renferm�es dans le harem ; tandis qu'on remettait le soir toutes les clefs 
        � la belle A�cha, afin qu'elle p�t fermer les portes du s�rail sur elle-m�me, 
        celle-ci profitait de la s�curit� qu'elle nous devait, pour travailler 
        sans rel�che, aid�e de ses compagnes, � faire une br�che dans un mur de 
        cl�ture. On s'aper�ut de la br�che; mais un grand nombre de femmes avaient 
        d�j� pris la fuite et s'�taient retir�es chez les habitants de la ville. 
        "Le g�n�ral Val�e ne savait quel parti prendre � l'�gard de ces femmes, 
        qui toutes demandaient leur libert�. On ne pouvait les abandonner ainsi 
        et sans asile. Le g�n�ral eut l'id�e de les remettre sous la sauvegarde 
        du muphti, qui, apr�s avoir refus� d'abord, finit par consentir � les 
        recevoir. Deux d'entre elles qui �taient de Constantinople, o� elles avaient 
        leurs parents, s'adress�rent au prince, afin qu'il e�t piti� d'elles et 
        qu'il les f�t conduire � B�ne, o� elles pourraient s'embarquer pour leur 
        ancienne patrie. Ces deux femmes avaient tout au plus quinze � seize ans; 
        elles �taient jolies et le son de leur voix �tait d'une douceur ineffable 
        : on ne r�sista pas � leurs pri�res. 
        "Quant aux femmes qui se retir�rent chez le muphti, elles n'ont probablement 
        pas d� s'applaudir beaucoup de la chute de leur ancien ma�tre car, d�s 
        leur arriv�e, le muphti commen�a par les d�pouiller de tous les bijoux 
        qu'elles avaient emport�s et qui appartenaient au bey. Je crois bien que, 
        trafiquant de ces esclaves comme d'un vil troupeau, le pr�tre musulman 
        les aura vendues par la suite � quelque chef de tribu (1)." 
         
       1. Docteur Baudens 
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