IV

Distribution générale du palais. - Matériaux de la construction. - Les portiques. - Les colonnades. - Les chapiteaux. - Les dalles. - Les faïences. - Peintures décoratives. - L'inauguration

 

Le périmètre du palais a la forme d'un carré long, dont un des grands côtés fait face à la place actuelle, et l'autre à la rue Desmoyen. Sa superficie est de cinq mille six cent neuf mètres carrés. Ayant été édifié sur un terrain très incliné, on a dû le niveler, en bâtissant, à sa partie la plus basse, de solides constructions, qui servent à la fois de caves ou d'écuries et de mur de soutènement contre la poussée des terres supérieures (façade de la rue Caraman).
Le palais se compose de trois corps de logis principaux, à un étage, séparés par deux jardins comprenant l'espace réservé à l'ancien harem du bey. Des murs élevés cachaient aux regards indiscrets cette retraite mystérieuse et solitaire, dont toutes les ouvertures étaient bardées de fer ou de grillages très épais.
Les appartements, distribués autour des galeries, prenaient jour sur les cours et les jardins; les fenêtres, ouvrant au dehors, étaient petites et peu nombreuses; elles avaient l'aspect de créneaux; on a dû les agrandir depuis, pour avoir plus d'air et de clarté.
L'ordonnance architectonique du rez-de-chaussée se reproduit à peu près exactement au premier étage. Sauf quelques remaniements de détail, l'intérieur est encore aujourd'hui tel qu'il était quand le bey l'habitait; aussi est-il difficile de se diriger dans ce labyrinthe d'appartements, de cours, de galeries et de jardins, lorsqu'on le visite pour la première fois.
Les dépendances qui entourent le quadrilatère ont été ajoutées selon les besoins successifs.
L'aspect même du monument révèle son histoire; on voit au premier coup d'œil qu'il n'a pas été exécuté d'un seul jet, d'après un plan arrêté d'avance et coordonnant le tout. Si l'on regarde attentivement les murs, on reconnaît facilement les différentes reprises de travaux, les soudures qu'elles nécessitèrent, et la provenance diverse des matériaux employés. Chaque chef ouvrier exécuta séparément, et selon son inspiration, la partie de bâtiment dont on lui avait indiqué les dispositions générales, puis on joignit le tout plus ou moins heureusement. Mais si ces combinaisons ne sont pas irréprochables au point de vue du goût et de l'harmonie, on ne peut refuser d'y reconnaître un certain caractère dû à ces discordances mêmes et qui constitue son originalité.
L'appareil de toutes ces constructions est, à la base, en pierres de taille provenant des ruines romaines, puis en maçonnerie entremêlée d'assises en briques, revêtues d'un enduit de chaux et sable. Les voussures des arcades des galeries sont également en briques.
ColonnadeEntre les deux principaux jardins il existe un pavillon que les indigènes nomment le Kiosque (actuellement le cabinet du général). Il se relie au reste de l'habitation par une triple rangée de colonnades. On reconnaît là surtout qu'il ne faut pas demander aux indigènes l'exactitude des proportions; non seulement les arcades qui surmontent les colonnades n'ont pas toutes le même développement, mais les piliers eux-mêmes ne sont point parallèles, et ne correspondent pas les uns avec les autres; ce qui rappelle que les architectes ont cherché à utiliser, en les raccordant, des piliers qui existaient déjà.
Les jardins que sépare le Kiosque sont carrés et entourés d'une ceinture de portiques ayant la disposition d'un cloître. Ces portiques sont découpés avec une hardiesse et une légèreté merveilleuses; de gros pans de murs portent sur le vide, bravant toutes les règles de la statique; aussi ne comprend-on pas comment de si frêles appuis peuvent soutenir les galeries de l'étage supérieur. Il est vrai qu'à chaque angle des carrés on a élevé de solides piliers en maçonnerie, contre lesquels viennent s'arc-bouter les colonnades.
Comme dans la plupart des maisons mauresques, des tirants en bois sont horizontalement scellés entre chaque arcade, pour servir de lien aux deux retombées de l'arceau, ou pour supporter des rideaux destinés à amortir l'éclat du jour.
Les arcades sont généralement ogivales et portent sur des colonnes monolithes en marbre blanc de grandeur inégale et d'une grande variété de formes. Les unes sont sveltes et élégantes, les autres trapues et massives; on en rencontre de carrées, de rondes, de torses et d'octogones; leur diamètre varie de quinze à vingt-cinq centimètres, et leur hauteur est rarement de plus de deux mètres cinquante. Réparties un peu partout, elles sont au nombre de deux cent soixante six.
La galerie autour des jardinsLes chapiteaux présentent un amalgame des styles les plus disparates et les plus incohérents. Quelques-uns, à feuillages et à grappes de fruits entre les tailloirs, rappellent par leur galbe le chapiteau corinthien. D'autres appartiennent à l'ordre toscan ou gréco byzantin. Beaucoup sont médiocrement sculptés ou à peine ébauchés; on a même utilisé de simples cônes tronqués, seulement dégrossis, et n'ayant qu'un croissant en saillie pour ornement.
Pour éviter l'humidité, on a élevé les galeries circulaires à plus d'un mètre au-dessus du niveau des jardins. Le sol même de toutes ces galeries est recouvert d'un dallage en marbre blanc.
Les murailles latérales sont garnies, jusqu'à hauteur d'homme, d'un revêtement en faïences vernies - zelaidj - de différentes couleurs et de toutes provenances, dont l'ajustement forme des dessins de fleurs s'entrelaçant ou des mosaïques d'un très bel effet.
Un amateur exercé trouverait là sans doute des échantillons fort curieux de carreaux émaillés de fabrique ancienne, et pourrait y faire d'intéressantes études sur l'art céramique.
Les dalles en marbre du sol et les faïences du pourtour s'agencent parfaitement et contribuent à entretenir une fraîcheur agréable. On voit que cette condition de température, si appréciée en Algérie à l'époque des grandes chaleurs, avait été l'objet d'un soin particulier.
Au-dessus des faïences, et pour leur servir de bordure, règne un cordon en plâtre, qui se développe en ruban et court dans tous les sens, dessinant en relief les contours des fenêtres et quelquefois même des portes.
Entre cette sorte de corniche et le haut du mur touchant le plafond, l'œil est attiré par des peintures à grands ramages, de fleurs et de fruits entremêlés, aux couleurs éclatantes et variées. De distance en distance, on voit une série de tableaux d'une originalité toute particulière, qui ont pour sujet des vues grotesques de villes, de forteresses et de vaisseaux.
L'encadrement contre les ais du plafond est représenté par l'image de draperies zébrées de bleu, de rouge et de jaune, que retiennent des cordons à gros glands. L'artiste semble avoir voulu imiter un rideau, soulevé avec intention pour laisser jouir les spectateurs de la vue de toutes ces merveilles de peinture. Mais ces fresques, hâtons-nous de le dire, ne peuvent être regardées qu'à distance: d'une exécution qui témoigne de l'extrême imperfection de l'art chez les indigènes, elles sont fortement empreintes d'un caractère barbare. Elles rappellent les essais des enfants; même rudesse, même oubli des proportions et de perspective. Et toutefois, quelles que soient leur bizarrerie et leur médiocrité, on ne peut disconvenir que l'effet général n'en soit agréable à l'œil. La première impression d'Horace Vernet en est une preuve.
Malheureusement, ces peintures algériennes commencent à être envahies par l'humidité et à s'écailler pendant les chaleurs estivales.
Porte de chambreAprès six années de travaux consécutifs, c'est-à-dire vers 1835, tous les bâtiments qui composent aujourd'hui le palais proprement dit, étaient à peu près achevés. El hadj Ahmed, fier de son œuvre, voulut la faire admirer à ses sujets et jouir de leur surprise. Après avoir relégué les femmes dans les appartements les plus reculés, on ouvrit les portes du palais.
Toutes les galeries étaient splendidement illuminées; on s'y promenait librement, on s'y reposait sur des tapis; du café, des gâteaux et des sorbets étaient distribués à tout venant; des musiciens placés par groupes dans les cours et les jardins faisaient entendre alternativement leurs symphonies.
Cette fête présidée par le bey et par les hauts dignitaires de son gouvernement dura trois jours et trois nuits, mais ce fût la seule fois que des étrangers mirent le pied dans le harem et furent admis sans distinction à le visiter.
Après la prise de la ville, en 1837, les Constantinois professaient encore pour ce lieu un respect, mêlé de ressentiment et de crainte, qui allait jusqu'à la superstition.
"Les personnages les plus influents, dit le docteur Baudens, s'efforçaient de nous faire partager ce culte bizarre. Ils nous détournaient de pénétrer dans le palais, persuadés que la colère céleste ne tarderait pas à en châtier les profanateurs."

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