1er Août 2005

Le patrimoine de Constantine en danger : après Souiqa, Djamaa El Kebir ?

L'Association du Vieux Rocher demande l'arrêt momentané des travaux effectués sur Djamaa El Kebir ainsi que la mise sur pied d'une commission d'experts historiens et architectes pour définir les conditions de préservation de ce site.

Constantine est-elle appelée à être hantée par un passé trop longtemps refoulé et mis sous l'éteignoir par des pouvoirs publics prioritairement requis par la gestion d'un quotidien suffisamment difficile ? L'affaire de la destruction du vieux bâti de Souiqa, au printemps dernier, avait suscité une émotion aux dimensions alors imprévisibles qui avait, visiblement, surpris les autorités locales. Ces derniers ne s'attendaient pas à ce mouvement d'opinion que beaucoup d'observateurs considéraient comme inédit et authentique.

L'opération, pilotée par un bureau d'études italien, s'inscrivait dans le cadre d'une esquisse de restauration du vieux centre historique de la Médina et avait alors révélé la pugnacité d'une société civile constantinoise plus habituée au conformisme et sous l'influence des pouvoirs publics. Une association comme le Centre de réflexion et d'initiative, CRI, avait enquêté et rendu publiques les images de destruction alors que l'Association de défense du Vieux Rocher, attachée depuis sa création en 1989 au classement de la Médina, assurait un vigilant pouvoir d'alerte qui avait saisi notamment le ministère de la Culture et d'autres instances. Il se dit d'ailleurs avec insistance que la suspension des travaux à Souiqa -qui a de fait préservé plus d'une centaine de vieilles maisons- serait due à l'intervention personnelle du président de la République. Ce qui est sûr, c'est que le ministère de la Culture, en charge du patrimoine, a dépêché une commission sur place et, selon toute apparence, le déplacement à Constantine de l'inspectrice générale du patrimoine, à la fin de juillet dernier, a toutes les chances de rappeler le scénario de Souiqa.

Cette fois-ci, c'est la restauration du célèbre «Djamaa El Kebir» qui est en question. Vénérable institution, construite fin Xe-début XIIe siècle, la grande mosquée est l'une des oeuvres emblématiques de l'ancrage de l'islam dans la médina constantinoise. «Djamaa El Kebir» jouit à cet égard d'une aura particulière et occupe de fait une place à part dans l'histoire et la culture de Constantine. La question de la protection sinon de la sauvegarde de ce haut lieu de mémoire ne pouvait que se poser, ayant été évoquée en son temps par les responsables locaux du secteur des affaires religieuses qui s'inquiétaient à raison d'ailleurs du devenir de l'institution. C'est en réponse à ces préoccupations qu'une opération de restauration a été inscrite par les autorités locales, dont la réalisation a été confiée à un bureau d'études local et, de fait, depuis près de deux mois, le chantier est en place sur le site de la vieille mosquée.

Une cellule près des autorités locales, en charge de ces questions de sauvegarde du patrimoine suit en principe le cours des travaux. Cette démarche heurte en particulier les animateurs de l'Association du Vieux Rocher qui en relèvent d'abord l'infraction aux lois régissant toute opération sur un site classé.

Le président de l'association, l'artiste peintre Ahmed Benyahia, au demeurant unanimement reconduit lors de l'assemblée générale de juin dernier, rappelle, d'une part, la décision de classement du périmètre du rocher et, d'autre part, la nécessité d'un visa du ministère de la Culture pour toute opération touchant un site classé ou un bâti situé sur ce site. Ce qui est le cas de «Djamaa El Kebir» et l'association, dans une correspondance adressée au wali de Constantine, demandait l'arrêt momentané des travaux et la mise sur pied d'une commission d'experts historiens, architectes- seule à même, à ses yeux, de définir les conditions de la préservation d'un pan essentiel de la mémoire historique de la ville et du pays.

Une visite rapide à la mosquée suffit pour convaincre de la complexité de toute action de restauration et du caractère effectivement sensible de tout ce qui constitue la particularité de cet édifice. Que ce soit le vitrail, les colonnes romaines, les mosaïques, il paraît difficile d'imaginer que la tâche puisse être assurée par le seul bureau d'études en place dont les responsables se disent, par ailleurs, ouverts aux préoccupations et aux suggestions des défenseurs de l'institution. Une association de riverains de «Djamaa El Kebir», en attente d'agrément, s'est aussi manifestée tant au niveau du chantier qu'auprès des affaires religieuses pour faire part de ses réserves et appeler à un traitement en rapport avec les dimensions historiques et culturelles de la grande mosquée.

Les conditions d'un «bis répétita» de l'affaire de Souiqa semblent bien se mettre en place et il ne fait pas de doute que la question de la restauration et de la prise en charge de l'important patrimoine matériel et symbolique de l'historique cité constantinoise -à l'exemple du délabrement de Sidi Mohamed El Ghorab- promet forcément de nouvelles confrontations qui confirment que le nécessaire dialogue entre les institutions de l'Etat et les acteurs de la société, expression minimale d'une culture démocratique, est moins acquis qu'il n'y paraît. En attendant, il y a urgence du côté de «Djamaa El Kebir» dont le chantier est prolongé de quelques semaines.

Meriem Merdaci

 

Retour à la revue de presse