8 septembre 2009

La Souika entre mythe et nostalgie

Chaque jour, ses ruelles authentiques accueillent des vagues humaines qui se succèdent inlassablement à la recherche des bonnes occasions.

Le vieux quartier de Souika aux ruelles étroites, dont chaque pavé a une histoire à raconter ou un mythe à perpétuer, demeure une plaque tournante et un haut lieu du commerce, malgré la sévère concurrence qui lui est livrée actuellement par d’autres quartiers. L’évolution des moeurs, le changement de certaines habitudes de consommation et l’apparition de nouvelles tendances n’ont pas réussi à «périmer» Souika qui retrouve l’ambiance d’antan à l’occasion des fêtes et des événements religieux.
A la veille de l’Aïd El Fitr, de l’Aïd El Adha, de l’Achoura, du Mawlid et particulièrement durant le mois sacré de Ramadhan, ce quartier bien connu redevient la destination préférée des Constantinois et refuse de céder aux affres.
du temps qui passe. Signe des temps, autrefois réservée exclusivement aux hommes, Souika s’ouvre aujourd’hui à la gent féminine. Si pour de nombreux hommes, une virée ramadhanesque dans les «entrailles» de Souika répond à une tradition bien ancrée, les motivations des femmes n’ont rien de nostalgique. Plutôt pragmatiques, elles y viennent à la recherche des occasions rares et des prix intéressants.
Et à ce titre, elles ne font aucune différence entre les commerces légaux et les vendeurs occasionnels. Ces derniers, visiblement bien organisés, proposent un large éventail de produits très demandés pendant le mois de Ramadhan: de la viande bovine et ovine (et dont on ignore l’origine) au l’ben (petit lait) en passant par la «katfa» ou «dhioul», la fameuse pâte destinée à la farce du «bourak», à la galette préparée maison et autres produits alimentaires.
Ici, se mêlent étrangement le légal et l’informel et cela ne semble poser aucun problème de concurrence aux commerçants agréés qui activent dans d’innombrables spécialités. A Souika, on trouve vraiment de tout. Amandes, noix, cacahuètes, zlabia, samsa, en plus des autres produits d’importation que l’on tente d’écouler à des prix défiant toute concurrence.
Dans ce contexte caractérisé par une boulimie générale de la consommation, des réseaux de commerce informel n’hésitent pas à investir un créneau particulièrement porteur en cette période de canicule: la boisson gazeuse. Celle-ci se décline désormais en une infinité de marques qui tentent désespérément de se distinguer par un design fantaisiste.
Des quantités industrielles de bouteilles en plastique, de différentes marques plus ou moins connues, sont exposées à des prix alléchants.
La raison de cette subite générosité «commerciale» réside dans le fait que ce produit frôle dangereusement la date limite de péremption. Une autre activité est en train de connaître une extension dans toute la ville et particulièrement à Souika.
Il s’agit du commerce du pain, de qualité ordinaire ou «supérieure». A Souika, il y a vraiment, du pain sur la planche! Un véritable marché parallèle qui menace de mettre main basse sur ce produit vital.
D’énormes quantités de pain sont écoulées quotidiennement, procurant aux patrons de ce réseau informel des marges bénéficiaires bien confortables. Dans un marché où l’on vend de tout, de la viande presque avariée, voire douteuse, jusqu’aux épices importées, les Constantinois ne trouvent aucun mal à aller s’approvisionner et à s’aventurer dans ce «redoutable» carrefour économique. Chaque jour, les ruelles authentiques de Souika accueillent des vagues humaines qui se succèdent inlassablement. Démunies ou nantis, instruits ou pas, à Souika c’est «l’uniformisation». Tout le monde se côtoie et se mélange à la recherche des bonnes occasions sans le moindre complexe. Cette partie de la ville, quasiment légendaire, a toujours été réservée exclusivement aux piétons, avant que la rue du 19-Juin, autrefois très chic, ne se «bazardise» après être devenue à son tour, piétonne. A Souika, exit les snobs, les dandys et autre jeunesse dorée qui «roule carrosse».
Il s’agit bel et bien d’un passage obligé de presque tous les citadins de cette ville qui a vu naître Ben Badis. Une énigme qui continue de «tracasser» tous les curieux interpellés par le mystère de cette aura de majesté que l’on confère à Souika, malgré les injures du temps: ni le béton, ni le progrès, ni l’évolution outrageuse des procédés des spéculateurs n’ont pu avoir raison de sa notoriété.
On a comme l’impression qu’une bonne étoile veille constamment sur ce vieux quartier.
En dépit de la dangerosité des produits étalés à Souika, aucune intoxication alimentaire et autre incident lié à la consommation des denrées exposées à Souika n’ont été déplorés, affirment parmi ses inconditionnels, des doyens de la ville. La sacralité de Souika serait-elle un privilège attribué par la proximité du mausolée de Sidi Rached, le saint patron de la ville, enterré à quelques mètres en contrebas du fameux pont de Sidi Rached? Nul n’oserait le nier.
Pas ouvertement, en tout cas. Nullement gêné par les travaux de réhabilitation menée actuellement sur ce patrimoine culturel, Souika attire pèlerins, touristes, simples badauds, chercheurs, artistes et autres curieux. Elle constitue également la destination impérative pour les nostalgiques partis sous d’autres cieux. Ils reviennent régulièrement à la recherche de souvenirs et de repères.
L’originalité de Souika, la force qui en fait le référent obligé du Vieux Rocher résiste à tout, à la misère sous toutes ses formes, au temps des «vaches maigres», au luxe envahissant, à la richesse ostentatoire, rien ne semble démoder l’éternelle Souika, pas même le tonitruant dynamisme social qui promet de tout révolutionner, alors que Souika garde son mot à dire à travers les époques.
Ce quartier cache, par ailleurs, des trésors inestimables, des vestiges archéologiques non encore inventoriés, des ruines romaines, mais aussi des monuments architecturaux inspirés de la civilisation musulmane, des lieux de culte chers aux Constantinois.
C’est le visage de la vieille Medina qui refuse de céder à la tyrannie du modernisme. Chaque coin de Souika recèle une histoire tout aussi fabuleuse que la précédente.
Comme par superstition, les visiteurs, ici, ne reviennent jamais sur leurs pas: ils traversent le quartier afin de profiter de cette longue venelle, d’un bout à l’autre. Une si longue traversée exige que l’on s’y prépare, il faut donc avoir du temps, se «régler» au rythme de la nostalgie et des senteurs d’antan. Malgré les avatars de la vie citadine et les griffures de l’usure, l’ambiance ramadhanesque à Souika demeure intacte, gardant un charme sans pareil.
Chaque jour, ce sont des milliers de Constantinois qui y transitent dans une sorte de pèlerinage de ressourcement.
Dès que l’on pénètre dans la Souika, ce sont des souvenirs qui ressurgissent. D’une époque pas si lointaine en fin de compte. Ce quartier pittoresque constituait le coeur battant et palpitant de Constantine, avec ses plats traditionnels, ses odeurs exotiques et aussi ses fameuses troupes folkloriques.
Toutes ces merveilles, Souika les fait ressusciter chaque Ramadhan au grand bonheur de tous les Constantinois et des gens de passage. Qu’ils soient nourris de nostalgie ou pas.

APS

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