Mousse rose de mon enfance
de Najia Abeer

Dans l’ombre bleue de tes ruelles
Sommeillent mes rêves
Glissent mes pas
De Sidi Rached à Sidi Bouannaba
Sillonne mon sourire dans les méandres d’un rire
Cuivré
Blotti au fond d’un atelier
Enjouement d’un maillet danseur
Sur le bord d’un s’ni*
Ruisselle l’eau de fleur d’oranger.

Oranges amères
Roses perlières
Gouttent d’un distillateur
Rouge cuivré.
Mousse rose de mon enfance
A une gouttière cendrée
Suspendue
Lèvre rose souriante.

Toits rouges de désir
De soleil et d’azur, voici :
Un pan de firmament
Entre deux minarets, coincé
Sidi Lakhdar, embaumé.

Voilà
Un chaud rayon débrouillard,
Lézard
Cent fois centenaire, toujours étonné
Noyé, heureux, dans le nil* de tes pierres
De plaisir frissonnant
Fier.
Yeux turquoise d’un zélidj*
Du Wast ed Dar, où, dans le zigzag de son souffle
La fontaine
Chuintements
Murmures
Quiétude intime d’un hammam en fleurs
Henné à l’eau de rose sous le nacre d’un qabqab*
Dans une paume fiévreuse, l’ambre d’un s’khab.*
Yeux vermeille d’un zélidj
D’un arc-en-ciel volé
Du Wast ed Dar*
L’arôme poivré d’un café dans la cendre endormie
Brasero en quête de fraîcheur
Ebloui.

Femmes, faites tinter vos r’dif*
Agitez votre khalkhal*
Ce soir, nous irons compter les étoiles
De la fenêtre
Du menzeh.*
Les petites, les grandes
Les plus proches, les plus éloignées
Les filantes, les voilées
Puis, nous irons nous les partager
A égalité.
Que vos rires en cascades roulent jusqu’à la s’qifa*
Que vos velours génois étalent
Montrent l’or de vos doigts !

De Sidi Bouannaba à Saïda
Sillonne mon sourire dans les méandres d’un rire
Doré
Blotti au fond d’un atelier
Ballade d’une aiguille trotteuse
Brodeuse
Qattifa annabi.*

Sillonne mon sourire dans le creux d’un rire
En offrande argentée
Pour ce pan de mur
Mille baisers
Milles bras embrassés.

Du Chatt à El Bat'ha
Sillonne mon sourire dans l’éclat d’un rire
En échos
Dispersés.

Sillonne mon sourire dans la joie d’un rire
Aux senteurs de henné
Dans une main câline
Du haut d’un quinquet
Sourire d’une Médine
A ne jamais offenser
Oublier

Amis de Constantine
D’hier
D’aujourd’hui
Entendez-vous ces bruits ?
Cliquetis de chenilles
Les monstres de la nuit.

Pour ce pan de mur nili*
Milles baisers
Mille bras embrassés.

S’arrête mon sourire dans l’agonie d’un rire
Trahi.

Najia Abeer

S’ni : grand plateau en cuivre pour les repas ^
Nil : indigo ^
Zélidj : carré de faïence mauresque ^
Qabqab : mules en bois, souvent décorées de nacre, portées dans les hammam ^
S’khab : long collier fait de plusieurs rangs de perles d’ambre étranglés par espaces réguliers de tubes en or ciselé ^
Wast ed Dar : patio central de la maison ^
R’dif : bracelets en or à tête de serpent portés autour des chevilles ^
Khalkahl : autre appellation du r’dif ^
Menzeh : grenier dont l’unique fenêtre s’ouvre sur un toit.^
S’kifa : entrée d’une maison de la Souika.^
Qattifa annabi : velours couleur de jujube ^
Nili: couleur indigo ^

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