Le
couscous, aux origines millénaires, Amazigh
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Article
paru le 9 février 2003 dans El Moudjahid
En remontant lhistoire, il est utile de rappeler que lAlgérie
était bel et bien, grenier à blé de Rome. Cette référence lui suffit dexprimer
que lorigine du couscous date de la période libo-phénicienne lorsque
le blé dur servait pour préparer ce plat nourricier qui reste attaché
à notre culture culinaire.
Les variétés céréalières qui ont fait leur preuve durant les millénaires
donnaient déjà une sélection généalogique telles la variété de Hedba,
Bidi 17, Oued Zenati, Mohamed Benbachir dont les grains couleur ambre
clair, translucide servent à fabriquer de la bonne semoule de couscous,
consommé à Sétif, Saïda, Sersou, Berrouaghia, Chlef, Sour El Ghozlane,
Aïn Témouchent, Tlemcen, Tiaret, Kabylie, Guelma, le Constantinois etc...
La qualité nutritionnelle et diététique, mesurée par sa teneur en protides,
lipides, glucides, vitamines, sels minéraux, présente une valeur énergétique
qui reflète toute la généalogie végétale de notre couscous en tant que
plat national avec tous les rites qui lentourent, notamment dans
les offrandes, zerdas et hadhra, cérémonies célébrées autour des sépultures
des Awlyas salihines. Avant que naissent les moulins à eau
et à vent, cétaient les meules domestiques, sorte de pierres superposées
trouées avec un bâtonnet appelé El matahna.
Le couscous : un plat cérémonial
Nous nous sommes attelés à revoir les rites qui entourent la préparation
du couscous, à telle enseigne quil existe plusieurs recettes liées
à la cérémonie qui entoure le met. Les croyances et les rites berbères
ne dérivaient pas du rituel punique. Hérodote nous a dailleurs transmis
le souvenir dune cérémonie dune héroïne qui tient une si grande
place dans les mystères agraires des Berbères modernes.
On admettra volontiers que lorsque lagriculteur berbère, en commençant
ses labours, brise une grenade sur le timon de sa charrue, et lenterre
dans le premier sillon, cest quil pense que les épis portent
autant de grains que contient la grenade, lui attribuant ainsi une valeur
symbolique. La grenade est un vieux symbole punique de fécondité.
Le blé dur à lorigine du couscous
Mais que ce soit pour le blé ou la culture de lolivier, il existait
bien avant larrivée des Phéniciens dont les Berbères étaient en
relation depuis lAntiquité la plus lointaine. Mais rien ne conclut
que le couscous est dorigine punique, il y a autant de raisons qui
nous incitent à la prudence.
Par exemple, tous ces bijoux par lesquels la femme algérienne se pare
lorsquelle roule le couscous des différentes cérémonies, certains
modèles pourraient rappeler des modèles venus de Carthage. Est-ce à dire
que les femmes berbères ont pris goût des diadèmes et des khoulkhals (sorte
de cerceaux de chevilles), ou encore la main ouverte, ce symbole porte-bonheur
qui décore des bagues ou des pendentifs.
Est-ce un héritage carthaginois ? Est-ce des bijoux puniques ? Là aussi
il ny a pas de solides arguments pour approcher les ressemblances.
Les bijoux kabyles ou chaouis par exemple, ont peu de traits communs avec
les bijoux carthaginois. Toutes les combinaisons géométriques et décorations
berbères diffèrent complètement et nont rien à voir avec lart
carthaginois. Or, la première des croyances berbères, cétait toujours
la bonne venue de la moisson. Et les rites à ce sujet sont très nombreux.
Le couscous : Rites des labours et semailles
Les rites des labours, les rites destinés à faire tomber la pluie, les
rites des moissons, tous ces rites qui sont innombrables sont célébrés
tout au long de lannée agricole. A partir de là, on perçoit aisément
la place des céréales dans le système agraire amazigh. La récolte est
ce produit né dun mariage magique renouvelé chaque année, entre
un élément femelle, la terre et un élément mâle, la pluie. Pour assurer
cette union et pour la rendre féconde, lhomme amazigh sest
entouré de toutes les cérémonies symboliques qui se déroulent dans toute
la Numidie. La terre meurt avec la moisson et renaît à lautomne.
De là, est née la préparation du couscous qui se soumet à des rites selon
que la cérémonie est funéraire ou de fêtes, de mariage, de circoncision.
Chaque région du pays prépare à sa manière le rituel qui entoure le manger
du couscous.
Il y a autant de cultes agraires devant le mystère de la récolte. La trace
de ces cultures est-elle héritée de la Phénicie ? Tanit Pene Balla, la
grande déesse de Carthage, était vraisemblablement une déesse de la fécondité
et Juno Caelesti qui lui succéda à lépoque romaine accentua encore
ce caractère, elle fut déesse qui donne les épis, ou celle qui provoque
les pluies. Or, le taslit berbère na rien à voir avec la lune.
Croyances berbères et Boughandja
Dans les croyances berbères, lasli, élément mâle, semble dans la
plupart des cas, un personnage céleste, matérialisé dans la pluie. Pour
implorer Dieu afin que la pluie tombe, à ce jour les enfants sortent dans
certaines de nos régions avec Boughandja appelé aussi Taghoundja,
sorte de marionnette en pièces détoffes multicolores.
Pour revenir à notre sujet qui est celui de lorigine du couscous,
nous restons affirmatifs quelle est amazigh. Depuis, il existe différentes
façons pour préparer le couscous. Du blé dur on en fait de la semoule
qui servira à la préparation du couscous. Le thème nest pas de présenter
des recettes, pour cela les livres de cuisine en illustrent bien les procédés
des différentes opérations dans leffritement des grumeaux, saupoudrés
de semouline quon frotte bien avec la paume de la main dans une
gasaâ en bois.
Seksou-taberbouchet-mhawar-sefra
On lappelle Seksou en Kabylie, Taberbcouchet dans les Aurès, Taâm
chez les Ouled Naïl, Lemhawar chez les gens de Mila et Naâma chez
ceux de Constantine. Dans la région de Chenoua, on fait même du Taâm oubeloout
ou couscous à base de glands. Le couscous sera accompagné dune sauce
appelée margua faite de légumes tels tomates, oignons, navets,
ail, fèves, pois-chiches, courgettes, viandes blanche, rouge et des condiments
depuis ras el hanout, coriandre, poivre, sel jusquau piment pour
avoir une cuisine relevée. Les gens du littoral comme à Collo ont la spécialité
du couscous au mérou.
A chaque cérémonie, son propre couscous. Il y a le mesfouf sucré au miel
et raisins secs, ou seffa avec beurre, raisins secs cannelle, fleur doranger
et amandes mondées dans lOuest du pays.
Il existe le couscous de couleur brunâtre appelé lemziet dont
les citadins de Constantine en raffolent. Les pieds-noirs se sont accoutumés
au couscous-merguez emprunté de lart culinaire juif. Or, le couscous
algérien et maghrébin en général, a pénétré lAndalousie dès le XIIIe
siècle. Sa cuisson à la vapeur qui remonte aux temps les plus reculés,
fait du couscous quil a bien une légende. Parce que confectionné
à partir du blé dur le couscous est-il berbère avant darriver en
Ethiopie ? On peut classer le couscous dans la famille des panades.
En roulant la semoule dans une bassine avec la paume des mains, quon
passe au tamis bien calibré, les grains sortent et sont séchés sur un
drap blanc puis sont portés à la vapeur dans un couscoussier pour être
cuits.
Coscoten à la moresque
Aujourdhui, chaque pays du Maghreb se targue dêtre à lorigine
de ce plat aux saveurs berbères. Présent dans les noces, dans les circonstances
de fêtes et de peine, le couscous sest toujours entouré de rituel
qui lui donne une certaine sacralité. Il parvient de sortir des frontières
et dêtre prisé selon Rabelais dès le XVIe siècle sous le nom de
coscoton à la moresque. Cest sous les premiers Hafsides
que le nom de couscous est mentionné.
On dit assez souvent que les fleuves coulent vers la mer et gardent
la nostalgie des hauteurs où ils ont pris leur source... il en est
de même pour les peuples. Rien nest perdu aussi longtemps quils
en conservent le culte et les traditions millénaires. Le couscous est
ce plat de convivialité qui a gardé son histoire millénaire celui de lhomme
libre.
En Algérie, chaque famille a ses propres cérémonies intimes en plus de
celles liées à la tradition religieuse et ancestrale.
Couscous-Zerdat sabil
Que ce soit durant lAïd el Adhha ou Séghir, le Mouloud Ennabaoui
Charif, Achoura, El Moharem, le couscous est à lhonneur. Cest
ce repas rituel, quon distribue aussi aux pauvres dans les mosquées
en tant quaumône propitiatoire (Fi sabili Allah) dans la voie de
Dieu qui porte le nom de zerdat-sabil. Ce couscous préparé
avec de la viande de la bête immolée sur le seuil de la nouvelle maison
est offert.
Le repas terminé, on se congratule et on souhaite prospérité et heureux
séjour aux nouveaux occupants de la maison. Cest cette formule utilisée
mensel mabrouk que cette maison soit bénie ou encore In-Challah
tafrah fiha wa tablegh el maqsoud (sil plaît à Dieu, vous
y goûterez de la joie et y verrez vos désirs exaucés).
Couscous
sacrificiel de la hadhra
Mais cest sans doute le couscous offert à loccasion de la
hadhra lors des visites de lieux où reposent les Awlya
assalihine, un couscous géant avec de la viande dun beuf
sacrifié, où se restaurent les adeptes de la tariqa et ceux qui viennent
pour la curiosité voir les séances de dhikr. Cest une sorte
doffice où lon psalmodie les versets du Coran par un soubhan
Eddaïm (louange à lEternel) autour du cheikh ou mokadem
de la confrérie Aïssaoua, Rahmanyya, Kadirya, ou Hnasala etc. Le couscous
se consomme dans lallégresse mais aussi dans une sorte de méditation
après un court prélude entonnant linvocation Louange à Dieu
qui n`a pas denfant, qui na pas dassocié à Son Règne
et qui na pas dauxiliaire. Proclame Sa Grandeur. Le Puisant
doué de majesté, le Sage doué de beauté, le Proche doué de générosité.
Le
couscous de la baraka
Cest à lécoute de récitatif qui sera suivi dun lyrisme
métaphysique où le temps et lespace dépendent de lEternel,
que le rythme des bendirs, les adaptes à lunisson des voix dans
une ambiance de tawhid de la Réalité unique, ressentent ce souci déquilibrer
limmanence et la transcendance. Alors que la litanie va en chur
souhaiter prière et paix au Prophète (QSSSL), puis énumérer les saints
depuis Jouneïdi, Chadilya, Abdelkader El Djillali etc...
Autour de la baraka, le couscous est servi après la plainte du mourid
(néophyte) et que les kouans prononcent le teslim pour la séance de tahwal
(oscillation de la tête et du corps) dans un exercice extatique selon
un tempo où les bendirs reprennent impérieux dans une exaltation dune
mélodie qui détend latmosphère mystique.
Nest-ce pas là encore un rituel de dégustation du couscous communautaire
qui rappelle lantériorité de nos ancêtres, tel que nous lavons
vécu au cours des hadras à Sidi Slimane ou encore à Elghrab, Bouldjbel
lorsque feu cheikh Hsouna Ali Khodja entonnait les Medhs à lhonneur
du Prophète Mohamed (QSSSL) et des saints dans la zerda Aïssaouia où le
Mhwar, couscous raffiné des citadins de la médina de Constantine
et le Mzeït dégageaient les saveurs de lart culinaire de lantique
Cirta. Le couscous lorsquon loffre est aussi une symbolique
contre le mauvais il. Le couscous est comme le burnous dorigine
amazigh. Il est algérien. Il a une généalogie maghrébine dans toute la
profondeur de nos racines.
B.
H.
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